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Terrorisme au Sahel - Entretien avec Dr Seydou Kanté

Dr Seydou Kanté est le directeur de l’Institut de recherche et d’analyses géopolitiques (IAGEO). Il est spécialiste en géopolitique et en relations internationales. Il revient, dans cet entretien, sur les enjeux géopolitiques qui se jouent actuellement au Sahel.

Qu’est-ce qui est à l’origine de la recrudescence de la menace djihadiste au Sahel ?


Le djihadisme existe depuis longtemps au Sahel. La chute du régime Kadhafi et la prolifération des armes ont exacerbé le phénomène. Les groupes fondamentalistes étaient cantonnés dans le nord du Mali. Maintenant, ils disposent de capacités logistiques et humaines qui leur permettent de menacer les États du Sahel. Les djihadistes changent sans cesse de stratégies face à leurs adversaires. En 2012, ils avaient opté pour une stratégie symétrique avant d’être repoussés. La guerre d’usure imposée par les groupes djihadistes évolue. L’attaque de Karma, au Burkina Faso, en est une illustration. Les assaillants étaient habillés comme les miliciens des Volontaires pour la défense de la patrie ( VDP) pour déjouer le dispositif sécuritaire et tuer beaucoup de soldats. Les armées locales ont des difficultés pour s’adapter à la menace.


Quels sont les groupes djihadistes actifs au Sahel ?


On note la présence de plusieurs groupes terroristes dans la bande sahélienne. L’État islamique dans le Grand Sahara (EIGS) est l’un des groupes les plus actifs. Il ne cesse d’étendre son champ d’action, notamment dans le centre du Mali. Il dispose de fantassins entrainés et très bien équipés. Fondé en 2015 par Adnane Abou Walid Al-Sahraoui, ce n’est qu’en octobre 2016 que l’État Islamique reconnaît officiellement l’allégeance du groupe. Le Groupe de soutien à l’islam et aux musulmans au Sahel (GSIM) est incontestablement le mouvement djihadiste aujourd’hui le plus puissant dans la région. 

Son aire d’influence s’étend de la Mauritanie au Tchad en passant par le Mali, le Burkina Faso et le Niger. Affilié à Al-Qaida, le GSIM forme une force opérationnelle militaire estimée entre 2 500 et 3 000 hommes armés. Grâce à ses capacités logistiques, le groupe peut mener des opérations de très grande envergure dans plusieurs pays du Sahel. Outre le GSIM, deux autres grandes organisations djihadistes existent. Il s’agit du Mouvement pour l’unicité du djihad en Afrique de l’Ouest (MUJAO) et de Boko Haram, qui opèrent au Sahel et dans le bassin du lac Tchad.


Est-ce qu’il y a une concurrence entre ces groupes ?

 
Eh oui, les groupes se livrent  des batailles meurtrières pour le contrôle de territoires.  Ils combattent les États centraux, mais ne partagent pas les mêmes objectifs. L’État islamique au Grand Sahel est un rival d’Al Qaida. Les deux groupes sont en compétition.  Al Qaeda se voit comme leader du djihadisme transnational depuis 2001. L’État islamique veut créer un émirat islamique au Sahel. L’EIGS veut chasser Al Qaeda pour avoir un ancrage territorial dans le centre du Mali. Les combats meurtriers de Ménaka à l’Ouest du Mali en est un parfait exemple.  Cependant, ils coopèrent  et coordonnent leurs attaques en cas d’offensive des armées locales. 


La zone dite des « trois frontières » est le lieu le plus touché par les attaques. Pourquoi les djihadistes ciblent-ils fréquemment cette zone ?


Oui, c’est un nœud stratégique.  La zone dite des « trois frontières » ou Liptako-Gourma est située aux confins du Mali, du Niger et du Burkina Faso. Elle s’étend sur une superficie de 500 000 km². Elle est enclavée et vaste. Les conditions climatiques sont extrêmement rudes dans cette zone inhospitalière. Elle est constituée de montagnes escarpées qui offrent aux groupes armés des conditions idéales pour mener une guérilla. Par ailleurs, les populations nomades, qui se sentent marginalisées, coopèrent avec les djihadistes. 

Au Burkina Faso, par exemple, une grande partie de la zone frontalière avec le Niger et le Mali est contrôlée par les groupes armés. Les États sahéliens n’ont pas les moyens militaires pour mailler toute la zone. Les opérations conjointes menées par le G5 Sahel (Mali, Burkina Faso, Niger et Mauritanie – vous avez oublié le Tchad) ont montré leurs limites. 


Le G5 Sahel a-t-il échoué dans la lutte contre le terrorisme ?


Oui, depuis sa mise en place, en 2015, l’organisation peine à éradiquer l’insécurité dans la bande sahélienne. Les attaques continuent et les opérations n’ont pas produit les résultats espérés. Les financements promis par les Occidentaux arrivent au compte-gouttes. Les États du Sahel n’ont pas les mêmes stratégies en matière de lutte contre le terrorisme. Les coups d’État au Burkina Faso et au Mali ont également remis en cause la crédibilité de l’organisation. Les nationalistes de ces deux pays voient le G5 Sahel comme un instrument à la solde de la France. On ne peut pas faire face aux groupes terroristes sans une stratégie concertée et coordonnée. On assiste ainsi à une accentuation des coopérations bilatérales. 


La France a annoncé la fin de l’opération Barkhane. Quel bilan peut-on tirer de la présence militaire française ?


Globalement, l’opération Barkhane n’a pas atteint ses objectifs fixés au départ. La stratégie française ne pouvait pas permettre de vaincre définitivement les groupes djihadistes dans les vastes zones désertiques du Sahara. 5 000 soldats ne suffissent pas à mailler une région qui fait deux fois la superficie de l’Europe. La recrudescence des attaques meurtrières a discrédité la présence de l’armée française. Cependant, l’opération Barkhane a permis de neutraliser plusieurs chefs djihadistes. À titre d’exemple, on peut citer l’élimination d’Abdelmalek Droukdal, chef d’Al-Qaïda au Sahel, Bah Ag Moussa, un cacique du GSIM, et Adnan Abou Walid al-Sahraoui, le chef de l’EIGS. Barkhane a également joué un rôle important dans la formation, l’équipement et l’entrainement des armées du G5 Sahel. 


La Russie est devenue un nouvel acteur en Afrique. Quels sont les objectifs de Moscou au Sahel ? 


Le Sahel est surtout devenu au fil des années un terrain où s’affrontent les puissances mondiales, chacune essayant de pousser ses pions pour faire valoir son positionnement stratégique et géopolitique. La Russie post-soviétique veut retrouver sa gloire d’antan. Et pour cela, l’Afrique apparaît comme un terrain idéal. L’intervention russe en Centrafrique, qui a permis de chasser une grande partie des rebelles, a en quelque sorte marquée le grand retour des Russes en Afrique. Au Sahel, Moscou profite du recul et de l’impopularité de la France.  L’objectif principal de la Russie est de combler le vide laissé par Paris. À cet effet, le Kremlin multiplie les partenariats bilatéraux. Sur le plan militaire, les ambitions de Moscou ne sont plus un secret .

 Le groupe paramilitaire Wagner soutient les forces militaires maliennes pour venir à bout des groupes armées terroristes. Moscou cherche également un point d’appui stratégique en Afrique de l’Ouest. À l'image de son intervention en Syrie, l’implication de la Russie au Mali revêt aussi des motivations géopolitiques et géostratégiques importantes. À l’avenir, une coopération militaire entre le Burkina Faso et la Russie n’est pas à exclure.


Quelles sont les stratégies pour vaincre les groupes djihadistes au Sahel ? 


Oui, plusieurs stratégies peuvent être adoptées. Les groupes terroristes ont une grande résilience stratégique. Le renseignement reste un atout de taille dans la lutte contre le terrorisme. Les agences de renseignements de l’Afrique subsaharienne avaient longtemps eu comme rôle de traquer les opposants et de détecter des menaces à la sûreté de l’État. 

Les modus operandi des groupes djihadistes doivent pousser à repenser la structure des services de renseignements des pays africains en général. Les armées sahéliennes font face à un problème d’effectifs. Dans le domaine de l’armement, à l’exception des unités d’élite, les soldats déployés au front sont presque à égalité avec l’ennemi. Il faut une organisation plus flexible des armées.  La mise sur pied d’une force aérienne puissante doit être également un facteur important dans la reconstruction des armées sahéliennes que les bailleurs doivent soutenir. L’achat d’aéronefs pourra être décisif dans la lutte contre le terrorisme. Il faut également miser sur des solutions non militaires comme l’éducation et le renforcement des infrastructures dans les zones menacées par les djihadistes.


Les groupes djihadistes ambitionnent d’étendre leur influence vers les pays côtiers. Le Sénégal est-il menacé ?


En Afrique de l’Ouest, aucun pays n’est épargné par les djihadistes. On constate que les pays du golfe de Guinée sont de plus en plus menacés. Le Sénégal a pris des mesures préventives. Le pays a plusieurs particularités culturelles et religieuses qui constituent une barrière contre l’extrémisme violent. L’islam rigoriste n’est pas développé au Sénégal. Le soufisme incarné par les multiples confréries est un rempart contre la propagation de l’extrémisme religieux. Sur le plan judiciaire, le Sénégal a pris des mesures fermes et dissuasives contre le terrorisme et l’extrémisme violent. En effet, le gouvernement sénégalais a amendé le Code pénal pour criminaliser les actes terroristes tels que définis par la Convention de l’Union africaine (UA) sur la prévention et la lutte contre le terrorisme

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Cesti Info

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