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Le phare des mamelles, le guide des navires

Pour assurer une ligne régulière des compagnies maritimes intercontinentales, il a fallu créer un port d’escale en eau profonde pour les bateaux à voile et à vapeur. Ni Saint-Louis ni l’île de Gorée n’offrant la sécurité nécessaire, Dakar a été choisi. Ainsi, il s’est avéré nécessaire de le doter d’un phare pour guider les navires. Il fut installé sur l’une des collines des Mamelles en 1864. Toujours fonctionnel de nos jours, il est aussi une attraction touristique.

D’après la légende, et dans sa version simplifiée, c’est l’histoire de deux femmes, coépouses et bossues. La première était méchante et jalouse, la seconde, gentille et calme. En voulant se débarrasser de sa bosse, la méchante, par mégarde, se retrouva non seulement avec la sienne, mais aussi avec celle de sa coépouse. 

Rongée par la honte, elle décida de se suicider et plongea dans l’océan Atlantique. La mer l’engloutit, mais laissa à la surface ses deux bosses. Elles se transformèrent en collines et on les appela les Mamelles de Dakar. Aujourd’hui, l’une porte le monument de la Renaissance africaine et l’autre abrite le phare des Mamelles. « Mais bon, c’est juste une légende », précise le vieux Malamine Fall, le guide du phare.

Ancien gardien du phare, il en devient le guide après sa retraite. Tenant un bâton, le vieil homme de teint noir porte des lunettes et une casquette à l’emblème du Port autonome de Dakar. Vêtu d’un pull bleu avec une écharpe noire autour du cou, il s’adresse à une petite fille et à son papa, venus visiter le phare ce soir du samedi 18 janvier. Contrairement à eux, notre visite est gratuite. Pour un étudiant en journalisme en quête d’informations, l’accès est libre. La solidarité entre étudiants s’impose selon Moustapha, le comptable à l’entrée et ancien étudiant à l’Université Cheikh-Anta-Diop (Ucad).

Phare des Mamelles                                                                         Vue du ciel de la phare des Mamelles

Pour les rejoindre, il a fallu emprunter une route poussiéreuse à gauche du monument de la Renaissance africaine, sur la corniche, qui mène à une entrée gardée par un vigile en uniforme bleu, casquette et pull. Derrière lui, un homme assis devant une table et muni d’un carnet de note explique les conditions d’accès. « Si vous payez 3 000 frs, vous aurez accès au musée et à la tour. Sinon, avec 1 000 frs, vous ne verrez que le musée », dit-il.

Pendant qu’il explique, un minibus blanc de 14 places descend la pente qui mène au phare et s’arrête. Le véhicule fait la navette entre l’entrée et la tour pour éviter aux visiteurs de faire à pied les 900 mètres pour atteindre le sommet de la colline rocheuse. Un autre monsieur nous rejoint et nous deux, en compagnie du chauffeur et d’un agent de sécurité muni d’un talkiewalkie, prenons la route.

Elle est goudronnée mais en piteux état, obligeant le chauffeur à rouler au ralenti en plus de zigzaguer entre les multiples virages. A peine cinq minutes, le bâtiment d’un blanc éclatant se découvre avec un portail noir du haut duquel est inscrit en lettres capitales : PHARE DES MAMELLES 1864. Cette date est celle de l’achèvement de la construction de l’édifice.

126 mètres d’élévation

A droite de l’entrée, le logo du Port autonome de Dakar est inscrit devant la porte d’une petite maison construite sur un étage. À gauche, des femmes papotent à l’intérieur d’une boutique d’objets d’art. L’entrée franchie, une petite pièce sert de guichet pour les visiteurs. C’est là que nous avons rencontré Moustapha, l’ex-étudiant de l’Ucad.

Il nous invite à emprunter une allée ombreuse menant à un restaurant. Malgré la fraicheur, des visiteurs, la plupart des étrangers, occupent la terrasse. La visite se fait à droite du restaurant. C’est là que se trouvent le musée et les escaliers menant à la tour cylindrique. Il explique au guide l’objet de notre venue.

« Puisqu’il y a déjà des visiteurs, vous vous joignez à nous pour faire le tour, prendre note et je répondrai aux questions », déclare ce dernier. Le visiteur trouvé sur place, Cheikh Fall, affiche une mine épanouie. Teint basané, chemise en wax, il tient la main de sa petite Dieynaba, teint noir d’une dizaine d’années en ensemble jean.

Le musée du phare est une pièce où sont exposés des objets liés à la navigation comme des balises, des ampoules, des hélices, des cartes, des livres, des radios et quelques vieux ustensiles de marin. Des photos sur les murs et des textes retraçant l’histoire du phare embellissent le décor. Sur un coin du mur se dresse un gouvernail avec des chapeaux de commandant de bord et de marin posés dessus. A gauche, une porte donne sur une autre pièce inoccupée et qui ressemble à un bureau avec des tables et des documents.

Point de vue unique 

Un phare est une tour édifiée sur un îlot ou à l’entrée d’un port, surmontée d’une source lumineuse puissante servant à guider la navigation maritime pendant la nuit. Celui des Mamelles est un phare de grand atterrissage, utile à la fois pour la navigation maritime et aérienne. Il indique les tournants de navigation et l’approche d’une côte.

Depuis plus de 150 ans, il s’allume pour guider les navires vers le port de Dakar. Il est sous l’autorité du maître phare, un électromécanicien qui occupe la maison en bas de la colline et nommé par le Port autonome de Dakar. Depuis 2014, Ibrahima Sène occupe ce poste. Il est assisté par trois gardiens qui se chargent de l’allumage, de la surveillance et de l’entretien. Si la hauteur du phare est modeste (16 mètres), son « élévation », c’est-à-dire le niveau de feu au-dessus de celui de la mer, est de plus de 100 mètres.

                                                                                Les Mamelles de Dakar 

Après un bref exposé, Fall, le guide, invite à le suivre vers des escaliers en fer noirs, mais si étroits qu’il faut les monter une personne à la fois. Avant d’aller à l’étage, il montre le dispositif technique d’allumage. Il s’agit d’un tube en fer noir à l’intérieur duquel se trouvent des fils électriques. « Avant, c’était à la manivelle. Elle est en haut avec deux câbles et un contrepoids. On fait monter le contrepoids et en redescendant, il fait tourner l’engrenage, et toutes les heures, il fallait remonter manuellement. Mais maintenant, c’est un moteur électrique. Le système est équipé d’un capteur d’obscurité et de capteurs de clarté. C’est automatique. Ainsi, le phare s’allume dès qu’il fait sombre et s’éteint dès que le jour se lève », explique-t-il.

Fall propose de prendre en photo Cheikh et sa fille puis nous rend le même service. Au premier étage, une petite fenêtre offre une vue sur l’océan, et comme s’il attendait ce moment, il prend un ton solennel et poétique : « Vous voyez quelque chose d’extraordinaire, la pointe de l’Afrique. C’est l’extrême ouest du continent. Au-delà, c’est le Brésil et les Caraïbes ». Le vieil homme montre du doigt trois pointes de sable avancées dans la mer et raconte des anecdotes sur l’aspect mythique et mystique de ce lieu, puis fait une description avec sa main pour montrer que ces pointes avancées forment le mot « Allahou ». « Approchez, vous verrez mieux », invite-t-il.

Un court débat sur le Sénégal et ses hommes de Dieu s’engage entre Cheikh et lui. A cet instant, deux Sénégalais et un homme blanc nous rejoignent. « Vous avez un ticket de 3 000 ou 1 000 frs ? », demande le guide. En effet, les trois ont acheté des tickets de 1 000 frs, et le vieux leur fait comprendre qu’ils n’ont pas accès à la tour, mais uniquement au musée. Néanmoins, il les laisse se prendre en photo mais doivent redescendre « avant que les autres pensent que je fais des entorses aux règles », s’excuse-il. Les trois s’exécutent et redescendent aussitôt.

A la terrasse de ce premier étage sont installés des panneaux solaires et des balises de couleurs verte et rouge. « Vous avez une vue sur toute la capitale », dit Fall en gesticulant. « La pointe des Almadies, Ngor, l’aéroport Léopold-Sédar-Senghor et ce que vous voyez au loin, c’est Rufisque et Bargny ». « Ah bon ! c’est possible de les voir à partir d’ici ? », s’interroge, les yeux écarquillés, Cheikh, réajustant ses lunettes. « Ah oui, regardez bien, vous verrez même l’usine de la Sococim », s’empresse de rassurer le vieux. « Magnifique vue ! », s’exclame le père, qui tente de montrer ces endroits à sa fille, très calme depuis le début de la visite.

Une portée de 53 km

A partir de cet endroit, Dakar parait grand malgré ses 550 km². Elle se découvre dans toute sa splendeur dans une quiétude apaisante, loin du tumulte général qu’on lui connait. Pas de navire en vue, mais la mer est belle, les vagues dansent et caressent le rivage, les rayons du soleil sont doux et la brise embaume l’air d’une senteur exquise que les vents font flotter jusqu’aux narines. Pris dans cette contemplation, nous n’entendons pas le guide qui nous demande de rejoindre le deuxième étage, « le clou du spectacle ».

entrée de la phare des Mamelles                                                                             Entrée de la phare des Mamelles

C’est là que se trouve la partie la plus essentielle, l’optique à l’intérieur de laquelle se trouvent une petite ampoule halogène et, tout autour d’elle, des lentilles. L’ampoule est de 1 000 watts, d’une durée de vie de 3 000 heures et fonctionne sur du courant alternatif à 220 volts. Le phare produit un puissant éclat blanc toutes les cinq secondes. Une grande lentille de Fresnel sur bain de mercure joue le rôle d’amplificateur et lui confère une portée de 53 km en concentrant la lumière pour en faire des faisceaux.

« Ce phare est le plus puissant d’Afrique avec celui du Cap de Bonne-Espérance, en Afrique du Sud », renseigne le gardien. Et là, Cheikh montre ses connaissances en tant que travailleur dans les forages : « La lampe ne bouge pas, c’est l’optique qui tourne autour d’elle ». Cette petite salle qui abrite la machine est recouverte par des rideaux pour protéger l’optique contre les rayons solaires.

Un éclat blanc toutes les 5 secondes

Là encore, le guide propose ses services de photographe que les visiteurs apprécient avant de gravir à nouveau les escaliers pour le troisième étage doté d’une terrasse très exiguë qui surplombe le restaurant. Les occupants ne manquent pas de jeter des regards vers nous, sans doute inquiets pour la jeune Dieynaba que son papa est obligé de tenir par la main, car très gênée par le vent qui souffle très fort à cette altitude. Il faut faire vite, prendre des photos et redescendre dans la salle de l’optique. Et c’est là que se termine la visite avec des appréciations de Cheikh qui, très content de la découverte et de l’accueil du guide, promet de revenir, mais cette fois avec tous ses autres enfants.

A peine prennent-ils congé qu’un Français barbu, avec un sac au dos, accompagné d’une femme sénégalaise de teint clair, jean déchiré et très souriante, pénètre dans le musée. Il montre tout son enthousiasme à découvrir le phare de Dakar lui qui est de Brest, une ville réputée pour ses phares. « Ah bon, sacrée coïncidence ! », s’exclame le guide. « Après l’indépendance du Sénégal, la question de la formation de futurs « maîtres phare » s’est posée. On a alors envoyé des gardiens dans les écoles de la métropole, en particulier celle de Brest », dit-il tout sourire.

Fall reprend son bâton, entame à nouveau son récit, qu’il débite à la lettre, puis monte avec eux vers le sommet de la tour afin de refaire le même parcours.

 

Publié

Je suis journaliste sénégalais diplômé du Cesti, spécialisé en presse écrite et numérique. Passionné d’écriture, je traite des sujets dans des domaines différents. J’ai remporté le Grand prix de la première édition de l’école d’été sur l’écriture et le journalisme (EEEJ) organisée par Jeune Afrique, la Fondation Vallet et l’ONG Bénin Excellence à Cotonou, en août 2023. J’ai effectué un stage au quotidien « Le Soleil » et j’ai fait de la pige pour TV5 Monde. Titulaire d’un Master en Sciences politiques, spécialisé en Relations Internationales obtenu à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, je suis aussi l’auteur d’un recueil de poèmes intitulé Fond de mental publié en 2018 et d’un Essai du nom de La Guerre des mondes, quand les identités nous séparent, publié aux éditions Les Impliqués en 2022.

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