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A Cité Keur Gorgui, l'interminable calvaire des voisins d'Ousmane Sonko

La vie n’est plus ce qu’elle était à la cité Keur Gorgui depuis mars 2021. Les habitants sont sujets à des contraintes de mouvements à chaque réponse d’un des voisins à la justice. La quiétude est perturbée par les forces de l’ordre. Situation qui indispose les riverains et impacte leurs affaires. Depuis le 18 mai dernier, des barricades sont installés aux alentours de la maison d'Ousmane Sonko, perturbant gravement la circulation dans ce quartier.

Vivre au côté d’une personne influente n’est pas chose aisée. L’avantage est qu’elle peut vous tirer d’affaire, mais le contraire aussi est possible. Et cela, les habitants de la cité Keur Gorgui ne diront pas le contraire. Eux qui vivent avec Ousmane Sonko dans le même quartier. Autrefois réputé calme par beaucoup de Sénégalais en général, et de Dakarois en particulier, le quartier est devenu, depuis mars 2021, le lieu qui fait le plus parler de lui. La vie dans ce bout de terre de la capitale devient un véritable enfer pour les résidents à chaque fois que le président du Parti Pastef-les-Patriotes doit répondre à la Justice, soit dans l’affaire Adji Sarr, où il est poursuivi pour viol, soit dans l’affaire Mame Mbaye Niang, où il est accusé de diffamation. L’homme politique ne manque jamais, à chaque occasion, de solliciter publiquement le soutien de ses militants et sympathisants, qui envahissent alors les rues. En réaction, la rue est mise sous haute surveillance par les forces de l’ordre. Les entrées et les sorties sont filtrées si elles ne sont pas restreintes. Une situation qui indispose les habitants de la cité. Situation compliquée La soirée du 22 février, l’allée où habite le leader de Pastef est calme. Le vent frais qui souffle sur la rue sablonneuse soulève la poussière et apporte le sable dans les yeux. Il fait ainsi remuer les feuilles des cocotiers qui abondent dans les angles. Au dehors, ne sont visibles que des gardiens ou des caméras de surveillance qui assurent la sécurité des lieux. Quelques résidents sortent ou entrent, et les portes se referment aussitôt sur eux. Des maisons de modeste étendue, mais de grande beauté, sont alignées de part et d’autre des ruelles. Le reste du temps, ce sont les passants qui empruntent la voie. Les voitures de fonction et de particuliers ornent la façade extérieure des villas. Tout laisse croire que le meilleur gît en ce lieu. Seul bémol : à chaque sortie ou convocation d’Ousmane Sonko, la cité est quadrillée par des forces de l’ordre, empêchant ainsi les autres riverains de vaquer convenablement à leurs occupations. Pour Simon Mendy, la situation est devenue compliquée. Habillé d’un jean noir et d’un pull-over, le quarantenaire s’apprête à aller récupérer son fils à l’école. « Vous voyez cette rue, nous montre-t-il du doigt avec un regard serein, c’est ici que les policiers se mettent à chaque fois. On ne peut ni sortir ni entrer, ou simplement accompagner nos enfants. Nous souffrons vraiment. » À cet instant, il se pare de son casque à moto. Se disant pressé, il émet un long soupir avant de démarrer son scooter et d’ajouter : « Mais nous sommes habitués maintenant ». Si Simon dit s’être accommodé de cette situation, c’est tout le contraire pour Lompo Zélila. De teint clair et de taille moyenne, cette jeune étudiante burkinabè vit depuis deux ans dans le quartier. Elle est obligée, à chaque manifestation, de « faire une longue déviation et de prendre un taxi pour se rendre à son université ». Elle révèle par la même occasion que les policiers imposent de faire un tour et « à chaque coin, nous trouvons que les voies sont barrées, ce qui oblige les chauffeurs aussi à effectuer de longs détours avant d’arriver à notre destination. Alors que d’habitude, le trajet ne nécessite que quelques minutes à pied ». Pas bon signe pour les affaires Hormis les étudiants, les professeurs aussi viennent en retard à chaque fois qu’il y a mouvement dans le quartier, signale-t-elle. Le calme de la rue est perturbé de temps à autre par le brouhaha des écoliers qui rentrent de l’école. Et c’est à la même heure qu’Abdoul Aziz Sylla, un jeune Guinéen, quitte son bureau pour sa maison. La vingtaine, un chapeau melon gris sur la tête, porte une sacoche au dos et tient une barre de cigarette entre les doigts. De teint noir, le jeune homme maigrichon avoue aimer bien le coin. Comme il l’explique : « C’est un quartier de paix, comme vous pouvez le constater, les maisons ont chacune un gardien. Ici, il n’y a ni vol ni agression, seulement le mauvais voisinage. » Selon Aziz, chaque jour de manifestations est considéré comme journée blanche pour eux, car les policiers bloquent tous les accès. Il se souvient de la dernière fois, où « les forces de l’ordre ont tiré des gaz lacrymogènes sur nous quand nous étions partis manger ». Le plus cocasse, renchérit Aziz, « est qu’on ne peut plus ressortir une fois que nous avons regagné nos bureaux puisque les échanges de pierres et de gaz lacrymogènes s’intensifient ». Son business aussi en prend un coup, comme il le révèle. « Je travaille dans la logistique avec les Indiens, et nos bureaux sont à quelques mètres de chez Sonko. Ni nos marchandises ni nous-mêmes ne pouvons circuler, ce qui n’est pas bon signe pour les affaires », affirme-t-il. « On est obligé de négocier à chaque fois avec les forces de l’ordre pour pouvoir passer. Je t’assure qu’ici nous sommes dans une prison à ciel ouvert. Je ne voulais pas en parler, mais j’en souffre », confie Aziz, la mine triste. Il continue son propos : « Demande à n’importe quel riverain d’ici, il te donnera la même réponse ». Et pour avoir la permission de circuler, il leur faut de longues heures de négociations. Pourtant, il souligne n’avoir rien à voir avec ces mouvements. « Peut-être que je suis jeune et qu’on pense que je fais partie des manifestants, estime-t-il, mais quand les éléphants se battent est-ce le problème des fourmis ? » s’interroge-t-il ». Aziz ajoute aussi que Sonko et Macky sont tous des intouchables et qu’on n’ose pas le dire simplement. Il sourit avant d’émettre un dernier propos : « Ce n’est pas mon problème, moi. Je suis venu juste chercher mon gagne-pain ». Marié, Aziz vit actuellement seul, loin de sa femme restée en Guinée. D’un pas pressé, un vieil homme édenté, le téléphone collé à l’oreille, regarde les portes comme s’il cherchait quelque chose. Interpellé pour les besoins de ce reportage, le bonhomme au pantalon bouffant jure ne pas habiter le secteur. D’ailleurs, il est à la recherche de la maison d’un ministre avec qui il a rendez-vous. Au-delà des différends entre le président du parti Pastef et les autorités judiciaires, ce sont les populations, d’une manière générale, et les riverains en particulier, qui récoltent les pots cassés de ce bras de fer qui perdure. Cité Keur Gorgui, lieu paisible, est au centre de presque toutes les conversations de salon de Dakar. La libre circulation de ses citoyens est entravée au nom de la proximité avec le leader de Pastef.

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