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La survie des malades souffrant d'insuffisance rénale

Une personne qui a besoin d'un rein dans l'urgence.

Opération inexistante au Sénégal, le don d’organes peut sauver des vies, surtout celles des malades condamnés à faire des traitements de dialyse. Mais cette méthode de soins est strictement encadrée car l’opération met la vie du receveur et du donneur en péril. Dans cette enquête, nous avons rencontré des cas qui ont raconté leur voyage émotionnel. Une «odyssée» éprouvante.

Son sourire aimable cache mal les fraîches contrariétés qui ont empoisonné sa vie. Dans sa boutique de vente d’encens et de chaussures pour hommes, située au quartier Sacré Cœur 3, une odeur pénétrante titille les narines. On est étourdi par le fracas des sonorités qui créent une atmosphère enflammée. Avenant, l’homme de teint clair et d’une stature imposante dégage l’air d’une âme qui vit dans le faste. Pourtant, sa vie n’a jamais été un long fleuve tranquille. Abdou Karim Gueye a vécu le pire et  a failli trépasser.

Le gérant de boutique, âgé aujourd’hui de 31 ans, était, il y a quelques années, dans un lit d’hôpital. Quand, en 2015, il est un transplanté rénal, Karim Gueye pense que son existence prend la tournure d’un destin tragique. Tout a commencé par une fièvre causée par une hypertension.

Le jeune homme, qui frôlait la vingtaine, était en classe de terminale. «Cette période, je ne l’oublierai jamais.  J’avais souvent des infections. J’ai dû arrêter mes études à cause de cette maladie», confie-t-il d’une voix triste. «Quand je suis allé  voir le néphrologue, il  m’a recommandé de faire des séances de dialyse. J’avais très peur, parce que la veille, j’étais avec des dialysés et j’ai vu quelques-uns d’entre eux perdre la vie devant moi. C’était un traumatisme», poursuit-il.

Dans son récit, ses yeux, hagards,  fixent un horizon lointain. Son corps est transfiguré. «C’était dur», soupire-t-il. La suite ? Silence radio. Un léger gémissement comme pour remonter le temps, ce moment où il a cru rejoindre l’autre monde. Coup de chance. «Par la suite, je me suis rendu en Tunisie. C’est là-bas où j’ai effectué toutes mes séances de dialyse pendant 6 mois. Au moment de faire la dialyse, mon petit frère aussi effectuait des analyses pour s’assurer de notre compatibilité.  Dieu merci, c’était le cas», se réjouit Abdou Karim Gueye.

Le salut en Côte d’Ivoire

Son monde s’éffondre en 2008. Lorsque Prosper Koffi, originaire de la Côte d’Ivoire, quitte sa terre natale pour étudier au Sénégal où il vit depuis maintenant 30 ans, il pensait vivre une paisible carrière de technicien audiovisuel. Rattrapé par les fruits de l’infortune, tout ne se passe pas comme prévu. Tout a commencé par une tension artérielle, des vomissements et des urines de couleur rouge. Le sol se dérobe sous ses pieds, le monde se présente à l’envers, l’angoisse, la peur d’une vie sur le point de basculer dans les méandres de l’abime le hante.

Koffi panique quand il apprend qu’il souffrait d’une insuffisance rénale. Et puis le noir, le vide: neuf jours dans le coma pour ce marié et père de cinq enfants. «Après le coma, j’ai pris ma maladie avec philosophie. J’ai remis tout entre les mains de Dieu», lâche-t-il avec des trémolos dans la voix, confortablement installé dans son bureau au Centre Africain d’Etudes Supérieures en Gestion (CESAG).

Dans sa tête, Koffi a repris les coursives de son malheur, remonté le temps pour se replonger dans les instants sombres; ces 8 ans à faire des séances de dialyses, 3 fois par semaine dans une clinique à Dakar. Tous ces deux reins étaient atteints. Par conséquent, c’est une course éreintante contre la mort.

La transplantation rénale n’est pas encore pratiquée au Sénégal, contrairement en Côte d’Ivoire où Koffi a fini par voir le bout du tunnel. Après s’être renseigné en Europe, Prosper décide de rentrer en Côte d’Ivoire pour se soigner.

Sur le plan financier, il bénéficiait d’une prise en charge totale par son entreprise. Mais, il fallait qu’il trouve un donneur compatible. Du groupe sanguin B+, seul un donneur universel pouvait l’aider. N’ayant pas caché sa maladie, toute sa famille était au courant. C’est pourquoi il n’a pas été difficile de trouver un donneur, un cousin. 

Le jour de la transplantation est programmé le lundi 26 Janvier 2015. Une semaine avant, lui et son cousin étaient internés dans un hôpital à Abidjan. « Tout était noir, c’était au sous-sol », se rappelle M. Koffi, yeux rougis par une forte émotion. Il poursuit : «A mon réveil, j’ai demandé à voir mon cousin. J’ai même piqué une crise pour le voir, mais ce n’était pas possible. Pour avoir l’esprit tranquille, les médecins m’ont fait écouter son enregistrement audio.»   

Des médicaments coûteux après transplantation

 «Merci tu m’as sauvé la vie », sont les premiers mots  de Prosper Koffi face à son cousin après le traitement. Tout comme Karim, Prosper est totalement guéri après la transplantation. Toutefois, il continue de prendre des médicaments et à faire son travail au Sénégal régulièrement. D’ailleurs, à notre arrivée, il venait de terminer un cours avec ses étudiants.

Si sa vie reprend son cours normal, les médicaments coûtent cher. Chaque semaine, il faut acheter un paquet de « Prograf »  qui coûte 172 000f CFA.  «Chaque trois mois, il faut dépenser presque 1.500.000f CFA, c’est vraiment difficile. Je n’ai plus une prise en charge totale de la part de mon entreprise. Je me débrouille pour acheter mes médicaments», se confie Prosper en prenant ces deux derniers médicaments de la journée. Un autre problème auquel les  transplantés font face au Sénégal, c’est l’accessibilité des médicaments. Prosper affirme que seules deux pharmacies les vendent au Sénégal.

Pourtant, la loi n°2015-22 du 8 décembre 2015 relative au don, au prélèvement et à la transplantation d'organes et aux greffes des tissus humains existe au Sénégal. Mais pour le moment, seule l’implantation du rein est possible.

Cependant, Dr. Massamba Diop, directeur de SOS Médecin, estime que «techniquement, c’est impossible de donner son organe au Sénégal». Mais Dr El Hadji Fary Ka, néphrologue et président du Conseil National du Don et de la Transplantation, précise qu’il vient de «terminer la visite d’une structure bien équipée où la pratique de ces opérations va bientôt commencer».

Le point de vue de l’Islam et de l’Eglise

Le don d’organe est presque inconnu au Sénégal. Dans les rues de la Médina, non loin de l’hôpital Abass Ndao, se trouve Modou Fall. Ce jeune homme de 30 ans, habillé d’un tee-shirt blanc, dit ne pas connaître le don d’organes. «Les médias et les médecins n’en parlent pas, c’est pourquoi les Sénégalais ne le connaissent pas.»

Ces propos sont de Souleymane Thiam. Agé de 65 ans, il rejette systématiquement l’idée de donner son organe. Chez les religieux, l’Abbé Jacques Seck précise que le christianisme ne l’interdit pas. Toutefois, il apporte quelques éclaircissements : «L’église autorise à son fidèle de donner son organe si et seulement s’il ne risque pas d’y perdre sa vie.»

Quant à l’islam, oustaze Mor Thiam soutient qu’il y a une «minorité de savants musulmans qui affirment que c’est prohibé par la religion. L’argument de ces savants est que le corps humain n’appartient pas à la personne mais à son Créateur». Par contre, l’avis prédominant de la plupart des savants contemporains qui connaissent le droit islamique considèrent que c’est permis sous condition.

Ils disent que l’intégrité du corps humain est à respecter dans le principe. Mais quand il y a nécessité, question de vie ou de mort, le droit islamique pose le principe de la «nécessité fait loi». Les conditions posées par le droit islamique pour que la personne donne son organe sont: l’organe ne doit pas être vendu, le don doit être fait par consentement de la personne ou par testament et la troisième, il faut aussi que l’organe qu’on donne ne soit pas vitale pour la personne donneuse.

Publié

Je suis diplômée du CESTI, lauréate du Prix Étudiant de la Convention des Jeunes Reporters du Sénégal. Je suis journaliste parce que je veux comprendre vite et faire comprendre vite.

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