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Moundiaye Cissé : « Des élections transparentes sont forcément paisibles »

Plateforme regroupant une quinzaine d’organisations de la Société civile spécialisées sur les questions électorales, le  Collectif des organisations de la société civile pour les élections (Cosce) est un acteur incontournable dans le processus électoral en tant qu’il joue un rôle de médiateur, d’observateur et de proposition. Moundiaye Cissé, directeur exécutif de l’ONG 3D, coordonnateur du Cosce, revient en détail sur la place de ce collectif dans le processus électoral pour l’élection présidentielle de février 2024.

Quel est le rôle du Cosce dans le processus électoral ? 

Le Cosce, qui travaille depuis 2000 sur les questions électorales, qui a travaillé à la veille de l’alternance sur les élections et qui jusque-là n’a raté aucune élection, est d’abord dans l’observation globale du processus électoral. Quand je parle de l’observation, c’est le monitoring des institutions, du retrait des cartes, du vote et celui de la préparation de l’électorat, donc toutes les étapes du vote. Il y a aussi le monitoring de la violence et celui des médias. 

Nous faisons toutes les opérations allant dans le sens des élections libres, transparentes et surtout apaisées. Nous sommes donc dans la médiation et la facilitation des rapports entre les acteurs politiques et nous sommes également dans la proposition de réformes allant dans le sens de consolider notre système démocratique. C’est pourquoi, notre collectif a pu participer à tous les dialogues politiques et aux réformes du Code électoral.

Ce que vous venez de dire n’est pas chose aisée. Comment faites-vous pour assurer une représentativité au niveau national et faire vos activités ?

Le Cosce a sa base à Dakar, mais nous avons au niveau de chaque région un point focal. Nos organisations sont représentées dans les régions et nous prenons la plus représentée sur place pour assurer la coordination des autres organisations se trouvant dans la localité. Ce qui fait que nous avons des points focaux régionaux qui sont au nombre de 14. Aussi au niveau des départements, nous avons ce qu’on appelle les Observateurs long termes (OLT). L’OLT se charge de nous faire remonter les informations et tout ce qu’il constate dans le cadre du monitoring des élections.

Trouvez-vous le poids de la Société civile assez fort dans l’espace politique sénégalais ?

Assez fort ? En tout cas la Société civile parvient à des résultats dans ce qu’elle fait. Dans ce qui est la proposition, nous avons été à l’origine de beaucoup de réformes dans le cadre du processus électoral. Dans ce qui est la médiation, nous avons été à l’origine de plusieurs consensus. Nous avons aussi toujours été là comme acteurs dans le plaidoyer pour des élections libres, transparentes et nous avons quand-même toujours eu des élections libres et transparentes.

Ce n’est pas tout le temps que la Société civile obtient gain de cause, c’est normal, mais les acquis démocratiques obtenus, ce sont les efforts combinés de la Société civile et des acteurs politiques qui les ont permis. On ne peut donc pas parler d’acquis démocratiques au Sénégal, sans parler des efforts de la Société civile qui inspire parfois des réformes allant dans le sens de la consolidation du processus électoral. Mais on peut toujours mieux faire, il y a des défis à relever.

Quels sont ces défis dont vous parlez ?

Il y a le défi de l’inclusion. Parfois en Afrique, particulièrement au Sénégal, il y a des acteurs qui sont exclus, menacés de ne pas participer. Nous vivons présentement le cas Ousmane Sonko, mais il y avait les cas de Karim Wade et Khalifa Sall. Ce sont là des défis qui font qu’il y a une judiciarisation de certains dossiers politiques. Le fait de renforcer notre justice afin qu’il y ait plus de confiance de la part des justiciable est également un défi.

Il y a aussi le défi du troisième mandat qui plane un peu en Afrique. Comment arriver à ce que cette question soit derrière nous ? Il faut aussi ajouter à cette liste, des élections paisibles. A chaque fois qu’on va vers des élections, la question de la violence se pose. Comment arriver en Afrique, au Sénégal, à des élections sans violences ? Voilà un réel défi. Je pense que si on règle la question de l’inclusion, de la justice et du troisième mandat, le risque de violence s’amenuise.

Dans une déclaration faite à la presse le mardi 11 avril 2023, vous (le Cosce) parliez d’un processus équitable comme gage de succès d’un processus électoral. A seulement quelques jours de l’élection, pensez-vous que le processus électoral est jusque-là équitable ?

Le processus a été plus ou moins équitable. Il y a une question qui plane sur la candidature ou non de Ousmane Sonko, c’est peut-être ça la tache noire dans cette question d’équité. En élection on parle de l’AGETIP (Accès, Genre, Équité, Transparence, Information et Participation). Ce sont les principes fondamentaux d’une élection. Aujourd’hui au Sénégal, il y a une importante partie de la population qui estime que le processus n’est pas équitable, dès lors que M. Ousmane Sonko risque de ne pas participer.

A part ça, nous avons un système électoral qu’il faut consolider seulement, parce qu’il est plus ou moins fiable. Je pense que quel que soit le degré de fiabilité de ce système, il y a toujours des failles qu’il faut corriger, ce que nous constatons avec les feuilletons judiciaires liés à l’affaire Ousmane Sonko. 

On peut donc dire que les conclusions du dialogue national ont été bien appliquées ?

Tout ce passe bien jusque-là sauf la tache noire dont j’ai parlée, qui est la participation ou non de Ousmane Sonko. Beaucoup de personnes estiment que dans cette affaire, il y a une instrumentalisation de la justice. Sinon le processus se déroule normalement. Les populations se sont inscrites, il y a la publication des listes, la distribution des cartes et tout le processus est en route. 

On constate que des opposants à la recherche de parrainages se sont fait gazés et leurs cortèges sont souvent arrêtés. Est-ce que cela ne constitue-t-il pas également une tache noire dans le processus ?

Oui, ça c’est anormal. Nous l’avons dénoncé d’ailleurs. Les candidats sont d’égales dignités et il ne doit pas y avoir une rupture d’égalité entre les candidats. Sous prétexte que le candidat de la majorité présidentielle est le Premier ministre, il va librement vaquer à ses occupations. L’actuel Premier ministre est un candidat. Dès lors qu’on lui permet d’aller sur le terrain, rencontrer ses militants en prétextant des tournées économiques, on devrait permettre aux autres candidats d’aller vaquer librement à leurs activités politiques. Premier ministre ou pas, M. Amadou Bâ est un candidat et de fait, tout ce qu’on lui permet de faire doit être permis aux autres candidats. Cette rupture d’égalité est anormale.

Les autorités administratives brandissent l’argument de manifestations non autorisées et de trouble à l’ordre public pour interdire ces convois.

Non, on ne peut pas considérer qu’ils ont violé la loi. C’est une période qui nécessite d’aller cueillir des parrainages, qui doivent être collectés dès l’instant qu’ils sont obligatoires... S’il reste chez eux, ils ne pourront pas réunir le nombre de parrains nécessaire. Leurs tournées sont justifiées par le caractère obligatoire de trouver des parrains. On ne peut pas demander et exiger  le parrainage dans un processus électoral et empêcher les candidats d’aller chercher des parrains.

On peut maintenant réformer le Code électoral pour préciser les modalités de collecte du parrainage. Ce serait bien et à notre niveau, nous allons proposer une réforme pour que durant la phase de collecte des parrains, les candidats soient autorisés à aller sur le terrain. Ceci va régler la question de ce pseudo violation de la loi. Aussi, ça permettra de marquer peut-être une rupture d’égalité entre les candidats.

Quelle est la position du Cosce par rapport au parrainage ?

Le parrainage au Sénégal est devenu indispensable. Lorsqu’on se retrouve avec une inflation de candidats à la candidature, il faut savoir filtrer. Il y a plusieurs candidatures fantaisistes qu’il ne faut pas laisser prospérer. Il y a plus de 300 personnes qui sont allées retirer la fiche, mais on ne peut pas faire une élection avec ça. En France, il y a le parrainage. Quand une démocratie évolue au point de susciter une telle inflation de candidatures, il faut un premier filtre.

L’essentiel est que le filtre soit démocratique. Ce ne serait pas démocratique d’imposer le parrainage aux uns et non aux autres, mais puisqu’on l’impose à tous, c’est démocratique. Après les élections législatives de 2017, nous avions commencé à proposer le parrainage. Nous avions 47 listes à l’époque. Il a fallu que l’ONG 3D fasse une simulation pour montrer qu’on ne peut pas voter avec 47 bulletins et imposer à l’électeur de tous les prendre. On a finalement changé le Code pour dire qu’il peut se limiter à 5 bulletins au moins pour préserver le secret du vote et perdre moins de temps. Nous ne pouvions pas continuer dans cette logique de floraison des candidatures.

Pourquoi avez-vous appelé au retrait de décret de nomination des membres de la Céna ?

Nous avons appelé au retrait de ce décret parce qu’il n’est pas légal. Le Code électoral prévoit le renouvellement des membres de la Céna (NDLR : Commission électorale nationale autonome) au tiers. En renouvelant intégralement les membres de la Céna, on fausse le caractère permanent de cette institution ainsi que son esprit de continuité. Quand on demandait que le renouvellement se fasse au tiers, c’était pour assurer une continuité, mais se lever et faire un renouvellement intégral pose vraiment un problème parce que c’est contraire au Code électoral.

L’autre aspect c’est qu’il est dit dans le Code que les membres de la Céna ne doivent pas s’engager politiquement et parmi les personnes nommées, il y en a deux qui ont été candidats et deux qui ont soutenu une candidature aux élections de façon manifeste. Ces deux-là n’ont pas leur place au sein de cet organe. C’est pourquoi, nous avons dit que ce décret est illégal, même si le maintien des membres de la Céna sortant était aussi illégal, parce que leur mandat était terminé.

On a donc utilisé une illégalité pour remplacer une illégalité. C’est pourquoi, nous espérons que le Président va revenir sur ce décret en faisant d’abord un renouvellement au tiers, en laissant au moins trois à quatre membres de l’ancienne équipe, mais également en enlevant les personnes qui sont identifiées comme étant des acteurs politiques. 

Vous estimez donc que les nouveaux membres de la Céna ne remplissent pas les conditions pour une élection transparente ? 

Ce ne sont pas les nouveaux membres, c’est cette Céna elle-même qui est illégale. Les conditions de nomination sont illégales. Il faut continuer d’espérer que, peut-être avant les élections, le décret sera remplacé par un autre qui serait conforme au Code électoral.

Le Cosce est-il confiant pour une tenue des élections paisibles et transparentes au soir du 25 février 2024 ?

Nous tous au Sénégal sommes préoccupés par les tensions préélectorales. Quand il y a tension préélectorale, en général, il y a tension postélectorale. Quand il y a des contestations préélectorales et électorales, en général, il y a contestations électorales. Nous ne ménagerons aucun effort pour éviter que ce pays sombre. Nous sommes en train de faire des démarches, même souterraines, pour arriver à des élections apaisées.

Nous sommes dans un contexte où le Sénégal est dans une ceinture de feu. Pratiquement, tous les pays qui nous entourent sont entre guillemets en feu et si nous ne faisons pas attention, nous risquons de finir comme eux et l’enjeu est toujours cette question d’élection. C’est pourquoi, on passe par les élections pour déstabiliser ces pays-là. Que Dieu nous en garde et pour ça chaque acteur politique, de la Société civile ou citoyens a sa partition à jouer en jouant la carte de la transparence. Quand des élections sont transparentes, on a de fortes chances d’arriver à des élections paisibles.

Publié

Je suis journaliste sénégalais diplômé du Cesti, spécialisé en presse écrite et numérique. Passionné d’écriture, je traite des sujets dans des domaines différents. J’ai remporté le Grand prix de la première édition de l’école d’été sur l’écriture et le journalisme (EEEJ) organisée par Jeune Afrique, la Fondation Vallet et l’ONG Bénin Excellence à Cotonou, en août 2023. J’ai effectué un stage au quotidien « Le Soleil » et j’ai fait de la pige pour TV5 Monde. Titulaire d’un Master en Sciences politiques, spécialisé en Relations Internationales obtenu à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, je suis aussi l’auteur d’un recueil de poèmes intitulé Fond de mental publié en 2018 et d’un Essai du nom de La Guerre des mondes, quand les identités nous séparent, publié aux éditions Les Impliqués en 2022.

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