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À Rufisque, le pavage citoyen transforme le cadre de vie

Alors que l'élection présidentielle de 2024 s'approche au Sénégal, dans la ville de Rufisque, ce n'est pas la grande effervescence. Les activités liées à la campagne électorale sont plutôt timides. Diokoul, un conglomérat de cinq quartiers lébous (Diokoul Kaw, Diokoul, Ndiayenne, Diokoul Wague, Diokoul Ndiourène et Diokoul Khèr), situé dans la commune de Rufisque ouest, montre une certaine discrétion. Même si la ville est marquée par une brise de tristesse liée aux nombreux disparus en mer dans leur tentative de rejoindre l'Europe par la pirogue, la jeunesse, au-delà du sentiment amer, veille au bien-être de son cadre de vie. Et ce, par le biais d'un projet de portée civique : le pavage du quartier Diokoul.

Sur les visages, ce matin-là, il y a un air de « Ah oui, les travaux reprennent ». En plus d’un air très satisfait, tant le quartier a changé de visage. Les rues sablonneuses, poussiéreuses et sans décor spécifique ont commencé à disparaître. Les jeunes ont changé la donne, c’est le début des travaux, ce dimanche-là à Diokoul Ndiourène. « C'est super désormais, je peux marcher tout en coquette avec mes talons dans le quartier », se réjouit Penda Mbengue avec éclat. « Voyez cette rue avant, dit-elle, indiquant une rue dans un quartier voisin, on ne pouvait pas y passer sans attraper un coup de poussière ».

« On a envie de voir un air nouveau régner ici à Diokoul, de la modernité, de la fraîcheur et pourquoi pas une pointe de culture sur nos murs », explique Ndèye Astou Lo. Daba Diagne, jeune femme d’une vingtaine d’années, explique : « Même si c’est un risque pour les enfants, car ils tombent tout le temps et se font mal aux genoux… Le pavage empêche les motos de passer ici et diminue donc les risques d’accident », se rassure-t-elle avec réjouissance.

Levée de fonds

Tout a commencé à la suite d'un constat. Selon Youssou Seye, l’un des initiateurs du projet à Diokoul Ndiourène : « l'idée est partie d'un pavage réalisé dans une rue appelée Ndieuwdoune, dans la quartier de Diokoul Kaw », situé à quelques encablures. « C'était vraiment joli, avec les décorations, cela donnait un meilleur cadre de vie, plus accueillant et très séduisant. On s'est dit, pourquoi ne pas faire comme eux pour notre quartier. Au début, on s'était constitué en un comité coordonné autour d'un bureau. Mais en 2022, on a décidé de commencer au niveau de notre quartier, Diokoul Ndiourène », informe le jeune homme, brouette aux mains.

Grâce à une levée de fonds organisée au niveau du quartier, ils ont pu entamer le travail. « Certains ont choisi de contribuer en matériel, soit avec du ciment ou du sable. On a aussi sollicité l'aide de personnes qui ont quitté le quartier et celles qui sont à l’extérieur », affirme Youssou Sèye, l’un des initiateurs du projet de pavage à Diokoul Ndiourène.

Dans cette communauté, la solidarité prévaut. Voilà plus de deux ans que la population de cette partie de Rufisque participe à cette activité qui réunit toutes les générations : hommes, femmes, maçons, tailleurs, menuisiers métalliques, soudeurs, plombiers, journalistes, vendeurs, autour d'une communauté solidement unie par l’histoire et la fraternité. 

 

Le pavage est désormais un moyen de matérialiser sa citoyenneté et de tissage de liens sociaux. Racine Ndoye, malgré sa profession de tailleur, ne manque jamais de se présenter aux séances de pavage chaque dimanche afin d'aider ses copains, amis ou petits frères, comme il aime le dire : « Même en période de fête, la Korité, Tabaski, ou les fêtes de Noël, je préfère sacrifier une heure ou deux de mon temps pour venir au pavage, car cela nous unit.»

« Voyez, les femmes du quartier nous servent tout un tas de plats, du Thiéboudiène, du mafé, de la soupe Kandia, du yassa, du Thiebou ketiakh… Il y en a même qui nous achètent du thé et de la pastèque, c’est un acte très appréciable et louable », apprécie-t-il.

Élan de solidarité...

Mame Mbeune Diop est maçon depuis plus de 15 ans. Il est considéré comme le chef de chantier par ici. Si le soleil scintille brièvement aux abords de 13h, la bonne fraîcheur du mois de décembre orne les rues, et semble soulager ces hommes ardus à la tâche. Le plus important avec cette activité de pavage, c'est « qu'elle nous procure une sensation de sécurité et instaure la propreté dans le quartier », relève-t-il, avant d’ajouter : « désormais, les gens ont quelque peu honte de déposer des ordures sur le seuil de porte, et surtout, ils prennent soin du quartier ».

Pour ce dimanche qui marque le début des fêtes de Noël, ils sont une vingtaine d'hommes éparpillés dans le quartier de Diokoul Ndiourene, chacun affairé à une tâche bien précise, entre charger des pavés dans une brouette, arroser le sol et transporter du sable. « On a fabriqué les pavés les semaines passées en utilisant des pierres concassées de 0 à 3⁄4 de diamètre, encore appelés graviers ou granulats, qui permettent de former une surface perméable. Comme c’est une rue sur laquelle passent les gros-porteurs, on a opté pour les pavés en forme de crochets capables de résister aux voitures », détaille le maçon Mame Mbeune Diop.

« Comme vous le voyez, là, nous sommes sur une allée d'au moins 200 mètres, avec une largeur qui diffère au fur et à mesure. En haut, on est sur huit mètres et plus on avance, plus cela se rétrécit », fait-il savoir.

 

Pour l’instant, la moitié du travail a été réalisé. Et ils ont fabriqué quelque 2000 pavés. Tout, selon lui, a été pris en compte, des inondations à l'environnement, en passant par la circulation. « Par exemple, avant la pose des pavés, on a réparé et restructuré les canaux de circulation d’eau. Pour aujourd’hui, on ne fait pas le pavage à proprement parler, car il y a des étapes à suivre. La première est de régler les soucis d’assainissement, tels que défricher la zone en retirant la végétation, les débris ou les couches de sol inappropriées ».  Pour donner un aspect plus attractif, les jeunes ont spécialement aménagé des coins pour des fleurs, afin d'embellir le quartier.

 Diokoul Ndiayenne sur les pas…

Un peu plus loin, dans le quartier voisin de Diokoul Ndiayenne, la majorité des rues a été pavée. Falla Diop, responsable financier du comité pavage de l'ASC Ndiayenne, bien installé dans son salon, est surtout connu pour la passion qu’il anime pour le club de football, l'Olympique de Marseille. Le cinquantenaire arbore un blouson bleu-blanc de l’équipe tout en sirotant tranquillement son verre de jus devant une télé assez bruyante.

En 2021, avec ses camarades, ils ont créé un comité de pavage à Diokoul Ndiayenne : « Avant ce projet de pavage, les dimanches, je dormais. Mais depuis trois ans, je ne dors plus. Les dimanches sont devenus un rituel de pavage, sans lequel les gens s'ennuient ». Jusque-là, ils ont pavé 1200 m² de surface avec près de 25 000 briques autobloquantes dont le coût de réalisation est estimé à 5 millions de francs.

Au départ, explique-t-il, c'était simplement autour d'un thé, avec des personnes comme Pape Gueye et Matar, membres du comité. « On a discuté, puis fait le tour du quartier, et de là, la commission a été créée ». À chacun, ils ont demandé d'abord un sac de ciment au minimum. « Lors de notre première réunion, on s'est cotisé jusqu'à obtenir 135 mille francs CFA». Avec cette somme, les dévoués ont commencé dès le lendemain.

« La plupart des fonds utilisés pour ce projet de pavage proviennent de la population. Elle a investi de l'argent, son savoir-faire, du temps et du matériel », fait-il savoir.

«Nous n'attendons rien des politiques...»

Du côté de Diokoul Ndiourène, Youssou Sèye affirme qu’à leur niveau, ils n’ont eu aucune aide ou financement de la part des politiques : « certains viennent pour constater notre travail, mais rien d’autre ». Il explique également : « Nous n’attendons rien des politiques, avec ou sans eux, on va continuer sur notre lancée, on a bien commencé avec nos mille francs et nos deux mille donc…».

« Si je prends l'exemple de la ruelle nommée Poste Courant, non loin d’ici, c'était un lieu propice à l'afflux de thé. Maintenant, en plus du thé, des choses bien plus positives se passent. Beaucoup de personnes se sont connues grâce à ce pavage. On reste toute la journée ensemble en action, parfois jusqu'après la prière du Maghreb », insiste Falla Diop.

Conscient du manque de soutien de la part de l’État, Falla Diop continue en martelant : « Le confort auquel nous aspirons, c'est à nous-mêmes de le créer, ce n'est pas l'État qui va le faire. Ce qui s'est fait à Diokoul est une fierté. Ils disent que Diokoul est peuplé de fous. Aujourd'hui, nous, les fous, essayons d’embellir notre quartier, et même avec cela, ils sont toujours étonnés », déclare-t-il avec satisfaction, mettant en avant la fierté qu'ils tirent de la transformation positive de leur quartier.

Publié

Je suis une journaliste polyvalente basée à Dakar, titulaire d'un diplôme en journalisme et communication CESTI, avec une expérience de près de quatre ans dans le domaine du journalisme. J'ai collaboré pendant près de deux ans en tant que fact-checkeuse à Africa Check, la première organisation indépendante de fact-checking en Afrique. Avant cela, j'ai travaillé pour divers journaux sénégalais, notamment le quotidien national, Le Soleil, ainsi que pour Enquête et Walfadjri, des médias privés locaux.

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