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Le clientélisme politique résiste au temps

En ces temps de précampagne pour la présidentielle du 25 février 2024, les électeurs sont rois. Tout est bon pour s’attirer leurs grâces. Au Sénégal, les échanges de faveurs contre des voix entre les candidats et les électeurs sont monnaie courante. Même si certains nient, d’autres confirment cette pratique. Finalement, le verdict est tombé : le clientélisme politique est plus que jamais une arme au service des partis politiques.

C’est connu. Qui dit Colobane dit trafic dense dans ce marché en effervescence et surtout de l’ambiance en permanence. En ce samedi de  décembre, comme de l’huile sur le feu, un évènement des plus bruyants s’est ajouté à ce spectacle qu’offre ce quartier de Dakar.

Une longue file de bus, de cars et de véhicules particuliers jonchent l’allée allant de l’école G15 au marché de Colobane. A mesure que l’on s’approche, un bruit se fait de plus en plus pressant. Par instant des sifflets dominent le vacarme, puis des batteurs de tam-tam prennent le relai.

Des rires par-ci, des applaudissements par-là, des discussions, des pas de danses et des klaxons se mettent ensemble à orchestrer une ambiance tumultueuse, rendant difficile la communication.

Il est 14h30 et la chaleur ne faiblit pas, mais surtout ne décourage pas ces centaines d’hommes et de femmes venus à la maison du Parti Socialiste (PS). En effet, il s’y tient la cérémonie d’investiture du candidat de la coalition Benno Bokk Yaakaar, dont est membre ce parti, à la présidentielle de février 2024.

L’esplanade est à son comble, les couleurs vert et blanc captivent, les alentours sont remplis et l’engagement embrasse la passion des uns et des autres. 

                                                                   

                   Des militants du PS devant la maison du parti socialiste

Derrière cette joie débordante et un militantisme affiché, se cache pourtant une autre réalité. La mobilisation à un prix. La politique au Sénégal reste toujours un terreau fertile pour le clientélisme politique. Ce système est considéré comme une faveur accordée à une personne en échange d’un soutien politique.

 Le prix de la mobilisation 

Il s’agit d’une pratique informelle que certains considèrent comme de la corruption, du marchandage et d’autres y voient même une pratique antidémocratique. Dans tous les cas, il occupe une place importante lors des périodes électorales.

Pour cette cérémonie d’investiture, le PS n’a pas lésiné sur les moyens. Les militants sont venus de Thiès, Kaffrine, Mboro, Ndiaganiao, Kebemer, Louga et même de Saint-Louis. Pendant que les leaders du parti et d’autres militants sont réunis dans le grand amphithéâtre, la grande majorité est dehors.

Tantôt vêtues de toutes en vert, tantôt de vert et blanc, les femmes s’illustrent avec des robes aux couleurs du parti et les jeunes sont en t-shirt. 

Pendant que le candidat de la coalition fait son discours retransmis en direct sur un écran installé dans l’esplanade, un jeune d’une trentaine d’année se montre avec un sachet rempli de t-shirt.  Acculé, il sort quelques-uns, les donne puis se fraye un chemin en courant.

Ndèye Diop, jeune femme de teint clair, vêtue d’une robe en vert et blanc venue de Kebemer, à 158 km de Dakar, a pu obtenir un t-shirt malgré la bousculade. Pour elle, l’appartenance politique importe peu :

« Nous sommes des griottes, donc on a que faire des appartenances. On nous demande de nous mobiliser et nous le faisons. S’il y a des choses à donner aussi on les prend », dit-elle en riant. Pour Ndèye, « la politique s’accompagne d’échanges de faveurs ».

En ces temps de précampagne, dit-elle, les hommes politiques mettent la main à la poche pour s’attirer les bonnes grâces des électeurs. Pour l’évènement d’aujourd’hui, chaque femme a eu droit à « une robe, un repas, et une somme d’argent », qu’elle ne veut pas communiquer.

C’est un jeune de moins de 18 ans qui s’en charge. Khaly vient de Tivaouane. Attendant patiemment la fin de la cérémonie dans un bus Tata à l’extérieur de la maison du parti, il déballe, sûr de lui : « C’est Amadou Bâ (NDLR : Premier ministre et candidat de la coalition au pouvoir) qui donne 3000 francs CFA à chaque personne. »

 Ses propos provoquent des réactions autour du jeune garçon. « Es-tu fou ? », le réprime un de ses compagnons. Ce dernier, plus âgé, précise que l’argent du déplacement est distribué  par le responsable local.

                                                       

                                                      Un jeune garçon venu de Tivaouane pour la cérémonie d'investiture du PS

Autant dire d’après le sociologue Ahmed Sahid Diba qu’avec « la floraison de candidats à la candidature et l’obligation d’obtenir des parrainages pour être candidat, les militants se retrouvent en position de monnayer leurs signatures ou leurs voix en cette période de précampagne. » 

Les promesses d’une insertion professionnelle

Pour Jean-François Médard, dans son ouvrage Nouveaux acteurs sociaux, Permanence et Renouvellement du clientélisme politique en Afrique sub-saharienne, « du côté des hommes politiques, le recours au clientélisme est plus ou moins systématique, afin de gagner ou de conserver des soutiens politiques. Du côté des électeurs, dans une situation de précarité et d’incertitude, il existe de fortes attentes de protection. »

Souleymane Faye, étudiant en audiovisuel abonde dans le même sens. Le jeune trentenaire de teint noir vêtu  d’un t-shirt sur lequel figure le nom et la photo d’un leader politique de Kaffrine note qu’en réalité « le compagnonnage se traduit par d’échanges de faveurs. Les autorités politiques locales paient le logement pour des étudiants ressortissants des régions à Dakar, leur viennent en appui dans le cadre de leurs activités et en retour, les jeunes leur apportent un soutien. »

Il fait aussi remarquer que « tous les jeunes qui se font remarquer au sein du parti peuvent obtenir des stages, des contrats, c’est pourquoi beaucoup sont présents aujourd’hui », dit-il.  

                                                   

                                                                  Un bus venu de Louga pour le transport des militantsvenus assister à l'investiture de Amadou Bâ à Dakar

De son côté, Lamine Diémé, issu de la jeunesse départementale de Goudomp, dans le sud du Sénégal et membre du comité national de la jeunesse étudiante et socialiste, déclare que c’est par pure conviction qu’il est sur les lieux, même s’il reconnait que beaucoup de « jeunes s’engagent en politique pour espérer une insertion professionnelle promise par les leaders politiques. »

A quelques mètres de la maison du Parti Socialiste, à la Place de la nation, se tient également une cérémonie d’investiture. Cette fois, c’est pour un candidat de l’opposition, le leader de Guem Sa Bopp, Bougane Gueye. Même si l’affluence est moins forte que celle du PS, l'endroit refuse du monde.

                                                               

                                               Des militants de Geum Sa Bopp attendant l'arrivée de leur candidat lors de sa cérémonie d'investiture

Musiques, sifflets, tam-tam et même des assiko assurent l’ambiance. Le candidat Bougane Gueye n’est pas encore sur les lieux, mais le ballet des leaders de sa coalition, accompagnés de leurs militants, est incessant.

Dans la foule, un homme très sollicité est en permanence en communication téléphonique. Mansour Sène est membre du cabinet de Bougane Guèye et il est le superviseur du meeting d’investiture. Écharpes bleu et jaune en main, il s'empresse d'arguer : « Nous ne donnons rien à personne pour qu’il vienne. Nos militants sont là parce qu’ils croient en notre candidat. » Toutefois, il reconnait que les militants ont des attentes vis-à-vis des hommes politiques.

Oulèye Diallo, tout de rouge vêtue, accompagnée de batteurs, est en plein sourire dans ce tohu-bohu. Teint clair, petite de taille, regard charmeur, elle est au centre de l’attention depuis son arrivée en fanfare. Responsable d’un groupe de militants venus de Sam Notaire, dans le département de Guédiawaye, Oulèye se livre à cœur ouvert :

« Nous sommes venus accompagner notre leader local. Il nous aide dans nos activités, c’est pourquoi s’il a besoin de nous, on ne peut que répondre. Notre mission est de faire en sorte que son entrée soit visible et que le public sache qu’il est là. Nous avons des pancartes, des sifflets, et des drapeaux. S’il sait que nous sommes là pour scander son nom et faire du bruit à son entrée, il saura que nous lui avons apporté un soutien en réponse à ce qui nous lie. »

D’après elle, la politique, c’est du « donnant donnant », ou même du « gagnant gagnant ». Pour le sociologue Ahmed Sahid Diba, « les électeurs peuvent voter pour une personne proche ». Oulèye confirme cette affirmation soutenant se rapprocher du candidat le « plus facilement accessible pour des échanges de faveurs », pensant qu’il vaut mieux « soutenir ceux que l’on connait que d’autres qui sont difficilement joignables. »

« Moi candidate, je suis courtisée »

Hormis les échanges de faveur et les promesses d’une insertion professionnelle, le clientélisme politique se manifeste aussi en ces temps de précampagne d’autres manières. Momar Ndiaye, adjoint au maire des Parcelles assainies, chargé de l’Urbanisme, de l’Habitat, des Infrastructures et des Transport déplore un clientélisme « à peine masqué de l’État. »

Pour lui, cela passe par des restrictions sur les fonds qui leur sont alloués. « Beaucoup de projets des municipalités gérées par l’opposition sont au point mort. Le gouvernement se substitue à la mairie pour faire des projets, faire croire à une incapacité des maires de l’opposition et en retour gagner la faveur des populations. »

Les leaders de l’opposition, qui veulent briguer la magistrature suprême, n’échappent pas au clientélisme politique. Dépourvu, la plupart, de moyens, ils arrivent difficilement à répondre aux aspirations et aux attentes des militants. Ils deviennent ainsi des proies faciles pour le parti au pouvoir qui en profite pour leur faire des propositions.

Yacine Sy, l’une des plus jeunes candidate à la candidature, n’a que 35 ans. La Saint-Louisienne s’est lancée dans la course à la présidentielle pour, dit-elle : « faire valoir (ses) idées, (son) expérience et (son) projet politique. » Elle affirme avoir été courtisée par d’autres candidats et a reçu des propositions et des offres.

Lesquelles ? Compte-t-elle répondre favorablement à ces demandes ? « Ce n’est pas le moment de répondre à cette question », se contente-t-elle de dire.

Publié

Je suis journaliste sénégalais diplômé du Cesti, spécialisé en presse écrite et numérique. Passionné d’écriture, je traite des sujets dans des domaines différents. J’ai remporté le Grand prix de la première édition de l’école d’été sur l’écriture et le journalisme (EEEJ) organisée par Jeune Afrique, la Fondation Vallet et l’ONG Bénin Excellence à Cotonou, en août 2023. J’ai effectué un stage au quotidien « Le Soleil » et j’ai fait de la pige pour TV5 Monde. Titulaire d’un Master en Sciences politiques, spécialisé en Relations Internationales obtenu à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, je suis aussi l’auteur d’un recueil de poèmes intitulé Fond de mental publié en 2018 et d’un Essai du nom de La Guerre des mondes, quand les identités nous séparent, publié aux éditions Les Impliqués en 2022.

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