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Fama Kâ : la vision politique d'une non-voyante engagée

Elle ne voit pas mais ce handicap ne freine en rien son engagement pour la cause des personnes dans la même situation. Investie lors des élections législatives de 2022, Fama Kâ, a mis de côté les clichés sociaux qui cantonnent les aveugles à un statut de mendiant pour aller à la rencontre des électeurs. Son principal combat : le bien-être des personnes en situation de handicap.

Le sourire de Fama Kâ, madame Diop, tranche avec un évènement qui a «empoisonné» sa vie : son aveuglement. Cette mère de famille, non voyante, n’est pas née avec un handicap. Comme le cours d’un destin tenant sur le fil d’un rasoir, celui de «mère Fama» pour les intimes, a tout d’un coup basculé dans les abysses d’une vie aux allures déroutantes. Tout a commencé par une paralysie suite à un malaise. D’un ton chargé de tristesse, elle confie : «J’étais dans le coma pendant des jours. Quand je me suis réveillée, les médecins m’ont informée que j’avais une cataracte. Malheureusement, ils ne pouvaient pas l’opérer parce que c’est une cataracte dispersée.».

Robuste comme un roc, taille assez élancée, Fama dégage l’air d’une femme qui mène une vie paisible. Pourtant, à ses 12 ans, son monde a basculé. Dans son récit, ses yeux hagards fixent un horizon lointain. Elle observe une petite pause… et poursuit son récit comme si l’événement se déroulait sous ses yeux.

Avec des trémolos dans la voix, elle relate : « Ça m’avait fait très mal, c’était très difficile à gérer. Au début, je ne le croyais pas, de même que mes amies. Après les cours, mes camarades de classe venaient à la maison pour me faire des rattrapages des cours. Elles croyaient fortement que j’allais sortir de cette situation. Hélas ! ».

D’un teint noir éclatant et d’un physique solide comme la chaise en fer sur laquelle elle est assise, Fama , 56 ans, a puisé dans ses souffrances une force mentale. Portée par l’énergie du désespoir, elle a trouvé dans cette pathologie de la motivation et de la détermination. Et cela se traduit par la poursuite de ses études jusqu’au niveau secondaire.

Abîmée par une vie partie en mille morceaux, elle décide de les arrêter  en classe de sixième. « J’ai arrêté les cours pour aller dans un institut à Thiès afin de suivre une formation en télécommunication et informatique avant d’aller en Tunisie pour renforcer mes connaissances », déclare-t-elle. 

Premier vote en 2000

Faisant face à la porte d’entrée de sa chambre, les yeux marrons, Fama est une femme hardie qui n’hésite pas à dire ce qu’elle pense. Déterminée avec un goût prononcé pour les défis, elle revient au Sénégal quelques années plus tard pour dérouler ses activités. Malgré son handicap visuel, la quinquagénaire se dit être indépendante. Elle fait ses tâches toute seule. Comme lors de son premier vote en 2000. C’était au CEM Falilou Diop de Pikine.

« Pour ma première élection, j’avais voté pour Iba Der Thiam. J’avais trouvé son programme dédié aux personnes en situation de handicap intéressant. Il avait un plaidoyer pour les handicapés », se rappelle-t-elle, enjouée. C’est avec un fou rire qu’elle raconte cette étape de sa vie :«J’étais guidée par une de mes sœurs, mais elle n’avait pas l’âge de voter. Je sais que c’était à l'époque interdit par la loi, mais j’avais demandé au président du bureau de vote de laisser cette personne entrer.»

Malgré les clichés et les défis, elle se décide à participer activement au processus électoral du Sénégal. Fama a accompli son devoir citoyen toute seule.

« Personne ne vote à ma place »

« Certes, j’étais guidée par une personne jusque dans l’isoloir, mais j’ai fait tout le travail. Quand les candidats sont nombreux, je cible cinq dont je vais prendre les bulletins de vote. Mais dans ma tête, je connais le candidat pour lequel je vais voter. J’ai ma manière de positionner les bulletins sur ma main qui me permettra de connaitre la position de celui de mon candidat », dit-elle. Avant de renchérir : « Je mets la carte dans l’enveloppe. C’est moi aussi qui mets l’enveloppe dans l’urne. Personne ne le fait à ma place. Le vote est personnel ».

Humble, modeste et très simple, la femme qui affectionne souvent des robes traditionnelles, est décrite comme étant une référence par ses voisins du quartier. C’est le cas de Maimouna Diop qui dit avoir beaucoup d’estime pour elle.

« Je suis principalement marquée par sa présence constante aux côtés de ses paires », témoigne-t-elle. Pour Alpha Diallo, la détermination et l’engagement de mère Fama montre qu’un handicap n’est pas frein à tout. « Dans la rue, elle n’est jamais accompagnée par une personne. Elle fait ses activités toute seule. Elle fait partie des personnes qui m’ont le plus marqué dans ma vie », raconte-t-il.  

Fama a une philosophie pour cette élection présidentielle de 2024 : « Chaque citoyen doit être conscient que sa carte d’électeur vaut plus que de l’or. Cette carte est capable de tout changer. Je demande à tous les non-voyants d’aller voter. Le vote est un droit. C’est le destin de tout un peuple. Le soir de l’élection, quand on fait le dépouillement, on ne reconnait pas la carte d’une personne en situation de handicap ou non. Donc, notre voix compte ».

                                           

« Une investiture méritée »

Dans sa maison à Pikine Est, le décor est frappant : difficile de prendre les escaliers, tout est noir. Des habits dispersés partout dans la maison campent le décor. Assise tranquillement sur son lit, elle suit une émission politique à la télévision. Voile blanc et lunettes noires bien ajustées, Fama a rampé jusqu’à s’imposer comme un taulier au sein de la société.

Ses journées sont partagées entre son centre d’écoute dédié aux femmes en situation de handicap qui subissent des violences de tout genre, son unité de transformation des produits agro-alimentaires et les cours en méthode d’écriture qu’elle dispense à des non-voyants à Pikine.

Native de Mbour, elle a grandi à Pikine où elle vit depuis plus de cinq décennies. Un engagement pour les personnes à mobilité réduite lui a valu son investiture lors des élections législatives de 2022. Après s’être jetée dans la mare politique en 2022, elle a été investie sur la liste départementale de Pikine par un parti politique appelé «Bunt-bi». Elle considère que ce choix, loin d'être fortuit, est un mérite. 

« Je m’active beaucoup pour la cause des femmes et des personnes en situation de handicap. Je suis la vice-présidente chargée de l’inclusion et de la diversité de la fédération nationale des personnes en situation de handicap. Lors les législatives, j’avais battu campagne comme tout le monde. Notre parti a pu avoir un député à l’Assemblée», justifie-t-elle, la main posée sur une table.  

Son entrée en politique est partie d’un constat : faire en sorte que les besoins des personnes en situation de handicap comptent dans le processus politique malgré les obstacles rencontrés. « J’ai remarqué que les personnes non voyantes ne sont pas associées à la politique, ni dans les programmes. C’est pourquoi, j’avais articulé mon programme autour de quatre points : l’éducation inclusive des personnes en situation de handicap, leur insertion professionnelle, l’accès facile aux soins sanitaires et leur assistance sociale ».

Et ce sont ses attentes aussi pour cette élection présidentielle, même si pour le moment, elle n’a pas encore vu un candidat qui s’est intéressé aux personnes à mobilité réduite. «C’est très rare de voir des programmes qui sont réservés aux handicapés dans les partis politiques pour apporter des changements dans la société. Ils pensent que leur place n’est pas dans les instances de décisions mais plutôt à la rue en train de mendier. Pour cette présidentielle de 2024, je n’ai pas encore entendu un candidat qui a inclu des personnes en situation de handicap dans son programme», fustige mère Fama.

Elle demande aux différents candidats de proposer des programmes qui militent en faveur de l’épanouissement et de l’intégration des personnes vivant avec un handicap. Malgré son handicap, Fama se bat tous les jours pour se hisser au sommet. Pourtant, sa vie n’a jamais été un long fleuve tranquille.

 

 

Publié

Je suis diplômée du CESTI, lauréate du Prix Étudiant de la Convention des Jeunes Reporters du Sénégal. Je suis journaliste parce que je veux comprendre vite et faire comprendre vite.

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