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Couverture médiatique préélectorale : où sont les candidates ?

L’élection présidentielle constitue une période charnière dans la vie démocratique d’une nation. Si le Sénégal enregistre, pour la première fois, une participation de deux femmes à cette élection, il faut dire que les obstacles sont nombreux pour ces femmes, notamment ceux de la couverture médiatique de leurs activités dans ces moments de communion avec les populations.

Devant un kiosque à journaux près d’une station de service à Djioubita, dans le département de Rufisque, des gens scrutent les Unes des quotidiens d’information parus ce lundi 11 décembre 2023. Sous l’œil attentionné du kiosquier. Après des minutes d’observation des productions médiatiques, deux constats frappants s’imposent.

Premièrement, les journaux sénégalais ne semblent traiter que de la politique. Deuxièmement, les hommes sont les seuls pratiquement à faire de la politique. En ces moments de collecte de parrainages, une étape décisive pour participer à l’élection, les hommes, bien que plus nombreux parmi les prétendants, inondent les vitrines des journaux. Autrement dit, malgré une pléthore de titres, le secteur médiatique peine à diversifier son offre.

Les médias ne font que seriner les mêmes déclarations des mêmes personnes. Sur les plus de 40 quotidiens publiés chaque jour, l’on retrouve quasiment les mêmes personnes, les mêmes sources avec pratiquement le même traitement. Sur les plus de sept prétendantes au poste de président de la République, l’on ne retrouve que rarement des femmes et leurs activités dans les productions médiatiques. 

Une question s’impose alors : les médias sénégalais, particulièrement la presse écrite, prennent-ils en compte la question du genre dans la couverture, le traitement et la diffusion des candidats à l’élection présidentielle ? Les médias seraient-ils des machines à genre, visant à défavoriser les femmes candidats ? Comprennent-ils l’importance de prendre en compte toutes les couches de la société dans le traitement médiatique, surtout à cette période charnière de la vie d’une nation ? Les questions sont nombreuses, les réponses complexes.

Il faut dire que la relation entre « Femmes et les médias ou Femmes politiques et médias » a toujours été problématique. D’une part, les femmes occupent, généralement, le bas de l’échelle dans les structures rédactionnelles au Sénégal. D’autre part, dans la couverture médiatique des activités politiques notamment, les femmes sont tout simplement classées en citoyens de seconde zone.

Malgré le caractère hautement important de l’élection présidentielle, la couverture médiatique des candidats et entre candidats est souvent biaisée, partiale et partielle pour ne pas citer Clara Bamberger, auteure du livre « FEMMES ET MEDIAS : UNE IMAGE PARTIALE ET PARTIELLE». Le paysage médiatique sénégalais, dans un pays aux comportements et sensibilités patriarcales, n’y échappe pas.

Les médias, animateurs de l’espace public, deviennent ainsi de véritables technologies de genre, accentuant, consciemment ou inconsciemment, les inégalités entre les hommes et les femmes.

La presse écrite, une machine à genre

Des recherches menées au cours des dernières décennies révèlent que si les femmes ont été jusque-là cantonnées au rôle de figurantes, c’est en grande partie à cause des médias qui ne se sont pas appropriés la question du genre. En 2014, Article 19 avait effectué une étude assez complète de monitoring sur la couverture médiatique liée aux activités des femmes. Le résultat fait état d’une inégalité frappante entre la surface rédactionnelle et le temps d’antenne accordés à la gent féminine dans les contenus médiatiques.

Les auteurs concluent que la femme reste un sujet mineur pour les médias au Sénégal. Les années s’égrènent mais la situation n’évolue (presque) pas. Une mini-étude de monitoring que nous avons réalisé et qui concerne six quotidiens d’informations générales (publics comme privés) sur une période de sept jours, montre que la situation ne s’est pas améliorée. Si l’étude ne fouille pas la qualité de l’écriture, le nombre de page et le style d’écriture, elle montre de par la Une, qui est la vitrine du journal, l’importance accordée aux candidates par les rédactions.

1- Place des informations liées aux hommes et femmes candidats sur la Une des journaux Le Quotidien, Bes Bi Le Jour, Le Soleil, Sud Quotidien, L'Observateur, Walf Quotidien

 

La faible place accordée aux femmes candidates résulte d’un travail de formatage dès le bas âge. C’est l’avis de Mme Diabou Bessane, journaliste et spécialiste du genre qui revient largement sur cette mise à l’écart de la gent féminine. « On peut attribuer ce comportement comme issu des habitudes de la société  sénégalaise, un ensemble de valeurs construites qui relèguent la femme dans la sphère domestique. Un réflexe que les hommes ont acquis depuis la petite enfance et qu’ils ont tendance à répéter parfois de manière instinctive sans en avoir véritablement conscience. Dans nos maisons, dans notre vie de tous les jours, les femmes font partie intégrante du décor, on s’habitue à leur présence mais les hommes ne font pas forcément attention à elles comme des figures ou actrices de premier plan. Cette situation ramenée à l’échelle des médias, traduit les stéréotypes de genre qui ont encore la peau dure dans nos sociétés », affirme-t-elle.

Dans ce même sillage, la spécialiste du genre pointe du doigt l’organisation hiérarchique des médias. Selon elle, il est intéressant d’étudier le mode d’organisation et de fonctionnement des médias car il peut aussi « constituer un facteur explicatif de la situation ». « Au niveau de la rédaction, du travail de fourmis donc, on trouve beaucoup de femmes. Elles sont reporters, elles font essentiellement le travail de terrain. Mais vous allez vous rendre compte que plus on monte en hiérarchie, moins vous verrez de femmes aux postes de décision. Peu de femmes aujourd’hui dirigent dans les médias. Très peu ont le poste de rédactrice en chef, ou de directrice de publication. Et le plus dommage est que les femmes mises en avant sont souvent choisies pour leurs jolis faciès, ce qui fait qu’elles font office de faire valoir », lâche-t-elle.

Par ailleurs, ce déficit de consédération des médias de la question du genre peut-il être interprêté comme un manquement éthique ou déontologique dans la profession de journaliste ? Mamadou Thior, président du CORED, relativise, car selon lui, la situation est beaucoup plus complexe qu’on l’imagine. « On ne peut pas sanctionner les médias sur l’oubli en tant que tel. Mais s’ils écrivent des choses qui ne sont pas acceptables, là nous intervenons. On a deux portes. Soit, on fait de l’autosaisine, c’est-à-dire c’est le CORED qui prend les devants pour porter l’affaire devant le tribunal des pairs ou soit c’est le ou la concerné(e) qui porte plainte devant le CORED. Dans l’un ou dans l’autre, le tribunal traitera cette affaire comme il se doit et s’il y a lieu de sanctionner, il sanctionnera ».

Mamadou Thior soutient que cette mise à l’écart de certains candidats (hommes  comme femmes) résulte aussi du manque de sérieux de certains journalistes. « Nos confrères et consœurs ne prennent pas le recul nécessaire. Parce que, pour qui fait un peu d’efforts, verra que Rose Wardini par exemple,  est très impliquée depuis des années, dans ce qu’on appelle les consultations médicales. Elle a aidé beaucoup de populations dans ce sens. C’est le rôle de la presse de creuser pour voir un peu ce qu’elle a fait dans le passé. Pourquoi il y a eu cette connexion avec les populations pour valider son parrainage ? Ce n’est pas tombé du ciel. Malheureusement, les jeunes d’aujourd’hui ne prennent pas le recul nécessaire. C’est là où on doit faire des efforts en termes d’enquêtes pour approfondir les sujets. Souvent, nos médias ne s’intéressent qu’aux déclarations des acteurs et actrices politiques qui inondent la Une de nos quotidiens, alors que pendant ce temps, il y a des choses qui sont intéressantes. Malheureusement, les gens ne vont pas au fond des choses », sermonne-t-il.

Le président de l’organe d’autorégulation affirme que « ce n’est pas le rôle de la presse de stigmatiser qui que ce soit », et réitère le rôle sacré des médias d’avoir une couverture égale, libre et responsable sur toutes les couches de la société.

Dans un communiqué en date du 16 janvier dernier, le Conseil national de régulation de l’audiovisuel (CNRA) dit avoir « constaté, dans certains médias, des manquements graves relativement à la diffusion de déclaration ou de messages de soutien à des candidats, au refus d’inviter dans les débats des représentants de certaines forces politiques présentant des candidats et à l’exposition à l’antenne de photos de personnages, dans le cadre de l’exercice de leurs fonctions, de nature à porter atteinte à leur dignité, à leur réputation, à les jeter à la vindicte populaire ou à inciter à la violence à leur égard », sans désigner nommément les médias épinglés.

L’organe de régulation en appelle par ailleurs, à la responsabilité des médias, notamment au traitement équitable et équilibré des candidats ou des forces politiques présentant des candidats, lorsque des débats sont organisés. 

Vers des médias à thématiques femmes ?

Dans le sillage d’accorder plus de visibilité aux femmes politiques notamment, certaines préconisent la mise en place des médias à thématiques féminines. Où les femmes et les problèmes les touchant seront examinés à la loupe. Même si la question n’emballe pas tout le monde car certains y voyant du sexisme, certains projets se concrétisent.

Des plateformes en ligne, des sites internes et des chaines YouTube à thématiques femmes commencent à émerger. C’est le cas par exemple de Jabu Tv et les Commères, deux sites internet créés dans le but de parler des femmes. Une autre ambition qui se dégage, c’est Woman First Tv. Cette chaine de télévision lancée en 2020 et présente sur IPTV se donne pour ambition d’être "la voix des sans voix, la porte-parole de gent féminine". 

 

Publié

Je suis diplômé en journalisme et communication au CESTI. Passionné d'environnement, de sport notamment le football et de tout ce qui a trait avec la géopolitique, je travaille, depuis novembre 2022, au journal Le Quotidien.

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