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Sinistrées de l'avancée de la mer de Saint-Louis, 500 familles de Diougop dans la précarité

Un havre de calme qui malheureusement ne peut séduire le visiteur faute de charme. Ainsi pourrait se résumer la vie dans le site de relogement des sinistrés de la langue de barbarie, situé à Diougop, dans la commune de Gandon. Ce site raconte une histoire. Celle de centaines d’hommes, de femmes et d’enfants qui, depuis bientôt dix ans, rêvent d’une vie meilleure.

La voie royale pour entrer à Saint-Louis est sans nul doute la langue de barbarie. Cordon de sable niché entre les flots du fleuve Sénégal et les vagues de l’océan Atlantique, ce village de pêcheurs vit au rythme des pagaies et des chants dans une effervescence sans pareil.

Seulement cette bande de sable a subi de plein fouet la montée des eaux et l’avancée de la mer. Aujourd’hui, près de 500 familles sinistrées vivent dans la précarité dans le site de relogement de Diougop à une dizaine de kilomètres du centre-ville de Saint-Louis.

Lorsque Amy Mbaye parle de la vie dans ce camp, elle n’a pas les étoiles pleins les yeux. Cette jeune femme de teint noir est la gérante de l’un des deux seuls robinets fonctionnels.

Forte corpulence, vêtue d’une robe à rayures vert et blanc avec sur sa tête un bonnet blanc, elle considère que le tableau désolant qu’offre à première vue le site est l’expression la plus visible du quotidien de ces personnes qui ont dû abandonner leur ancienne vie au bord de la mer pour chercher refuge dans cet endroit quasi désertique.

Vers 17h, ce mercredi 07 février 2024, c’est un air de village fantôme qui accueille les visiteurs. Rues désertes, des tentes préfabriquées qui s’étendent à perte de vue, un calme troublant, le temps semble s’être figé. Il est même surprenant de savoir que ce sont des populations de la langue de barbarie, cette zone bruyante et rythmée, qui vivent dans cette placidité.

Seul lieu animé, une borne fontaine où se retrouvent des femmes et des enfants qui attendent leur tour pour remplir leurs bidons ou seaux d’eaux. Le prix d’une bouteille de 20 litres est de 25 francs.

Le principal sujet de discussion des pensionnaires du site est le relogement dans les nouvelles constructions qui leur sont destinées. Après des années d’attentes, des logements leur sont attribués.

Les nouvelles maisons, une lueur d’espoir

Doudou Gaye, un des rares hommes adultes rencontrés, informe que le relogement a bien commencé. « 15 familles sont déjà parties et 15 autres recevront leurs clés demain (NDLR : le 08 février 2024) ». Les logements construits par l’Etat du Sénégal avec un financement de la Banque Mondiale sont « jolis et bien faits », reconnait-il.

Seul bémol, l’étroitesse. Qui connait Guet Ndar, explique le jeune homme vêtu d’un maillot de couleur jaune, « sait que les familles de pêcheurs peuvent contenir jusqu’à 20 à 25 personnes, alors que les nouvelles constructions ne comprennent que 5 chambres. »

Pour lui, il sera difficile de contenir toutes les personnes dans une seule maison et d’ailleurs, informe Doudou, « le bruit court déjà qu’il y a des conflits chez les premières familles relogées alors qu’elles n’ont même pas fait un mois là-bas ».

En ce contexte électoral, Amy Mbaye, la gestionnaire du robinet, n’a pas tant que ça de l’espoir concernant une amélioration de leur condition de vie, même si les attentes sont nombreuses. Pour elle, « entre ce que disent les hommes politiques et ce qu’ils font, il y a un tout un fossé. »

Seul le député Abba Mbaye est passé les voir, fait-elle savoir. « Il a payé deux factures de près de 400 mille Fcfa. C’est grâce à lui que le deuxième robinet est fonctionnel, mais nous sommes restés pendant longtemps avec un seul robinet pour un site où vivent presque 500 personnes », déplore la jeune dame.

Les attentes de Doudou Gaye et de Amy Mbaye sont en ce moment une nette amélioration de leurs conditions de vie et une deuxième phase de construction de logements.

Ces populations, ayant passé cinq, ou six voire sept ans pour certaines dans ce site en manque d’eau, d’infrastructures et surtout loin de leur lieu de travail n’attendent que les élections pour exprimer leur colère ou leur satisfaction.

Amy y va de manière consciente. « Si l’élection s’était tenue ce 25 février, c’est clair que le ballet des candidats aurait été incessant. Mais rien ne peut orienter mon vote. Ayant vécu plus de cinq ans ici, je sais bien pour qui je vais voter. »

Difficile cohabitation dans des maisons « étroites »

A cinq minutes de voiture du site de relogement, se dresse dans une blancheur éclatante, avec quelques touches de couleur jaune, les nouvelles constructions tant attendues. Certaines sont déjà terminées, d’autres toujours en chantier.

Quelques ouvriers sont à pied d’œuvre, des engins de constructions stationnés et surtout, les premiers habitants, devant leurs maisons, profitent de cette nouvelle page de leur vie.

Un groupe d’enfants joue au football devant une rue où toutes les maisons sont achevées. Dans l’une d’elle, il est organisé un récital de Coran, juste en face, des voix de femmes en pleines discussions se font entendre. 

C’est la demeure de la famille de Marème Ndiaye, une des rares  qui vient de Santhiaba. En effet, les bénéficiaires ne viennent pas seulement de Guet Ndar, mais de toute la langue de barbarie, à savoir Santhiaba ou encore Goxu Mbaac.

Pour cette dame âgée et petite de taille, c’est un soulagement d’être relogé après sept ans de précarité. « Nous avons de l’eau, de l’électricité et surtout nous sommes protégés du froid et de la pluie », dit-elle.

Elle aussi, se plaint de l’étroitesse. D’ailleurs, fait-elle savoir, une partie de sa famille a été obligé « de retourner dans les maisons préfabriquées faute de place ».  

Sa voisine Awa Tall a vécu « huit ans de galère. Trois au site de Khar Yalla et cinq au site de Diougop ». Ce qu’elle veut par-dessus tout c’est de reprendre ses activités liées à la pêche. Elle est prête à faire cette demande aux différents candidats à l'élection présidentielle. 

« Nous voulons une ligne de bus qui fait la navette Guet Ndar-Diougop, comme ça nous n’aurons pas à faire un kilomètre pour rejoindre la route nationale, mais surtout nous n’aurons pas à dépenser toutes nos économies pour prendre un taxi lorsque nous descendons tard.» 

En attendant la tenue de l’élection présidentielle, ces hommes et femmes continuent d’endurer cette vie de sinistré avec comme consolation, les nouveaux habitats plus commodes que les tentes préfabriquées, malgré leurs exiguïtés.

Publié

Je suis journaliste sénégalais diplômé du Cesti, spécialisé en presse écrite et numérique. Passionné d’écriture, je traite des sujets dans des domaines différents. J’ai remporté le Grand prix de la première édition de l’école d’été sur l’écriture et le journalisme (EEEJ) organisée par Jeune Afrique, la Fondation Vallet et l’ONG Bénin Excellence à Cotonou, en août 2023. J’ai effectué un stage au quotidien « Le Soleil » et j’ai fait de la pige pour TV5 Monde. Titulaire d’un Master en Sciences politiques, spécialisé en Relations Internationales obtenu à l’Université Gaston Berger de Saint-Louis, je suis aussi l’auteur d’un recueil de poèmes intitulé Fond de mental publié en 2018 et d’un Essai du nom de La Guerre des mondes, quand les identités nous séparent, publié aux éditions Les Impliqués en 2022.

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