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Est-il vrai que le Sénégal ne dispose pas d’une banque nationale ?

Tahirou Sarr est un homme politique sénégalais, leader du Mouvement nationaliste sénégalais. Il est réputé pour la préférence nationale que lui et son programme politique mettent en avant. Ce soutien de l’opposant Ousmane Sonko avait déclaré sa candidature à l’élection présidentielle de février 2024 avant d’être finalement recalé à l'étape du parrainage.

 

Sarr était l’invité de l’émission de grande écoute "Les invités de Maimouna Ndour Faye”, diffusée le 5 décembre 2023 sur la chaîne YouTube de la télévision privée sénégalaise 7TV. Au cours de cette émission, plusieurs thématiques ont été abordées, y compris le secteur bancaire sénégalais, lequel Tahirou Sarr a dit vouloir réformer s’il est un jour élu président du Sénégal.

 

L’homme politique, qui expliquait la manière dont il prévoit réformer ce secteur, a notamment mentionné son désir de mettre sur pied une banque nationale, car selon lui, “le Sénégal n'a pas de banque nationale. C'est-à-dire que l'État du Sénégal n’a pas de banque nationale” (écouter à partir de la 44ᵉ minute). Nous avons tenté d'entrer en contact avec Sarr afin de connaître la source de son affirmation, mais il n’a pas réagi à nos sollicitations.

 

 

 

Qu'est-ce qu'une banque nationale ?

 

Malick Sané, maître de conférences et enseignant-chercheur au sein de la faculté des sciences économiques et de gestion de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar (UCAD), explique qu'une banque nationale correspond à un établissement financier dont le capital est détenu entièrement ou majoritairement (à hauteur de plus de 50%) par l'État. 

 

Selon lui, la mission première de ce type d’institution est d'apporter un soutien aux acteurs engagés dans des projets de développement, particulièrement dans des secteurs économiques clés tels que l'agriculture et l'industrie. Sané souligne également la spécificité des banques nationales par rapport aux banques commerciales, qui se concentrent souvent sur des opérations à court terme comme le commerce international. Les banques nationales, quant à elles, se consacrent à des projets à plus long terme, contribuant ainsi à des activités de développement structurel.

 

Par ailleurs, Sané insiste sur le fait qu’une banque nationale a aussi la possibilité d'ouvrir ses portes à des actionnaires du secteur privé national. Selon lui, “cette approche vise à favoriser une participation plus étroite de ces acteurs dans le financement de l'économie nationale, renforçant ainsi les partenariats public-privé pour promouvoir le développement économique”, selon lui.

 Le paysage bancaire sénégalais

Au Sénégal, le secteur bancaire est composé de différents types d'institutions. En mars 2023, elles étaient au nombre de 32, dont 28 banques et 4 établissements financiers, lit-on sur le site de la Banque centrale des États de l'Afrique de l'Ouest (BCEAO). 

 

 

Ces entités se répartissent ainsi : 

  • Les banques commerciales, qui dominent le secteur financier sénégalais et sont présentes à travers tout le pays. Elles offrent des comptes d'épargne, des prêts, des cartes de crédit, etc., tant pour les particuliers que pour les entreprises ;

  • Les banques islamiques, recherchant des solutions financières éthiques, opèrent selon les principes de la charia et proposent des produits financiers conformes aux normes islamiques, tels que les comptes d'épargne islamiques et les contrats de financement participatif ;

  • Les institutions de microfinance jouent un rôle crucial en ciblant les populations non bancarisées et les petites entreprises qui ont des difficultés à accéder aux services des banques commerciales. Ces institutions, telles que la Caisse nationale de crédit agricole, la Caisse d'épargne et de crédit mutuel, et la Caisse des dépôts et consignations, offrent des prêts plus accessibles et des services d'épargne adaptés aux besoins spécifiques de leurs clients. En contribuant ainsi à l'inclusion financière, elles jouent un rôle significatif dans le paysage bancaire sénégalais.

 Le Sénégal dispose bel et bien de banques nationales

L'économiste Malick Sané assure qu’au Sénégal, il existe bien des banques nationales et donne l’exemple de la Banque Nationale pour le Développement Économique (BNDE). 

 

La BNDE créée en 2014 avec un capital social de 11 milliards de FCFA, est détenue par l'État et le secteur privé, lit-on sur la page web de ladite banque. En décembre 2023, elle a accru son capital social qui s’élève désormais à 62 milliards de FCFA suite à une décision de l’État. 

D’après les renseignements fournis par le service de communication de la BNDE que nous avons contacté, “la BNDE appartient à 68% à l’État et à 15% à des acteurs nationaux. 

 

Meissa Babou, enseignant à la Faculté des sciences économiques et de gestion de l'Université de Dakar, a également désigné la Banque de l’habitat du Sénégal ainsi que la Banque Agricole du Sénégal comme autres exemples de banques nationales sénégalaises.

 

Le caractère “national” des banques sénégalaises est purement juridique

 

Cheikh Omar Sy est expert en banque et directeur général de International Banking & Financial Center.  Il corrobore les explications de la BNDE et de l’économiste Meissa Babou, en soulignant que des banques telles que la BNDE, la BHS et la Banque agricole du Sénégal sont des structures nationales. Cependant, il a précisé que leur caractère national est uniquement juridique, ce qui signifie que dans la gestion du capital, une banque peut être considérée comme nationale si l'État détient plus de 50 % des parts.

 

« Aucune banque au Sénégal ne dépend donc d'une législation bancaire purement sénégalaise, car toutes sont soumises à la même réglementation bancaire de l’Union économique et monétaire ouest-africaine, l'UEMOA ». 

 

Cheikh Omar Sy a ajouté que le Sénégal étant membre de la zone UEMOA, la Commission bancaire basée à Abidjan est responsable de l'octroi et du retrait des agréments pour toutes les banques, qu'elles soient nationales ou étrangères. Par conséquent, l'idée d'avoir une banque sous le contrôle exclusif de l'État sénégalais est impossible tant qu’elle est dans cette zone, car la supervision et le contrôle des banques y relèvent de la Commission bancaire de l'UMOA, déléguée par la banque centrale, et non par les États membres. 

 

Notons que la Commission bancaire de l’Union monétaire ouest africaine (UMOA) a été créée par une convention signée par les ministres des Finances des États membres de l’UMOA le 24 avril 1990 à Ouagadougou, dans le but de "contribuer à assurer une surveillance uniforme et plus efficace de l’activité bancaire et une intégration de l’espace bancaire dans l’UMOA" selon le site de la banque centrale ouest africaine.

 

Elle exerce les pouvoirs qui lui sont attribués dans l'annexe à la Convention sur le territoire de chacun des États membres. Ces pouvoirs incluent notamment : l'agrément et le retrait d'agrément des établissements de crédit, le contrôle des établissements de crédit et des systèmes financiers décentralisés, les mesures administratives et les sanctions disciplinaires à l'encontre des établissements assujettis ou des dirigeants responsables, la nomination d'un administrateur provisoire ou d'un liquidateur d'établissement de crédit.

 

En conséquence, ces banques dites nationales comme la BNDE sont soumises au même contrôle et à la même supervision que les autres banques du Sénégal et des autres pays membres, sans qu'aucun État n'ait le droit d'interférer dans leur gestion, même si cet Etat détient la plus grande part dans l'institution.

 

Enfin, l'expert bancaire Cheikh Omar Sy ajoute : “Pour créer une banque nationale dans notre pays, il est nécessaire de sortir de la zone UEMOA et d'établir notre propre monnaie, à l'instar de pays comme la Guinée, la Mauritanie, le Ghana, le Cap-Vert et le Liberia, qui font partie de la Communauté économique des États de l'Afrique de l'Ouest (CEDEAO) mais ne sont pas membres de la zone UEMOA. Dans ces cas, il est souvent observé que le président lui-même nomme le gouverneur de la banque centrale.”

 Conclusion 

L’homme politique sénégalais Tahirou Sarr a déclaré que le Sénégal ne possède pas de banque nationale. Les experts et économistes que nous avons consultés ont unanimement précisé que le Sénégal dispose bel et bien de banques nationales, en donnant les exemples de la Banque nationale pour le développement économique (BNDE), la Banque de l’habitat du Sénégal (BHS) ou encore la Banque agricole du Sénégal.

 

L’expert bancaire Cheikh Omar Sy a relevé que bien que le Sénégal dispose de banques nationales, le caractère national de ces banques est purement juridique puisque le Sénégal, étant membre de l'UMOA, ne peut intervenir dans la gestion d'aucune banque sur son territoire.

Par conséquent, la déclaration de Tahirou Sarr est trompeuse, car elle peut induire en erreur.




 

Publié

Je suis une journaliste polyvalente basée à Dakar, titulaire d'un diplôme en journalisme et communication CESTI, avec une expérience de près de quatre ans dans le domaine du journalisme. J'ai collaboré pendant près de deux ans en tant que fact-checkeuse à Africa Check, la première organisation indépendante de fact-checking en Afrique. Avant cela, j'ai travaillé pour divers journaux sénégalais, notamment le quotidien national, Le Soleil, ainsi que pour Enquête et Walfadjri, des médias privés locaux.

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