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Diourbel dans l’attente d’un programme agricole

La culture de l’arachide est un pilier fondamental de la politique de développement du Sénégal. Dans la région de Diourbel, le secteur arachidier joue un rôle social et économique essentiel. A l’approche de l’élection présidentielle, les attentes des acteurs dans ce domaine sont nombreuses.

Au marché hebdomadaire de Bambey, petits commerces et magasins se côtoient. Les habitants de tous les villages avoisinants, venus en charrette, s’y rassemblent pour acheter, vendre, échanger et discuter. En cette matinée du lundi 08 février 2024, le marché commence à recevoir du monde. Des camions garés le long de la route nationale N°3 déchargent des lots des marchandises. Sous un soleil de plomb, des produits alimentaires, du bétail, des vêtements et des ustensiles de cuisine sont exposés à la commercialisation.

Situé au centre-ouest du Sénégal, la commune de Bambey fondée en 1926 est au cœur du bassin arachidier. Mais, on y retrouve également d’autres cultures comme le mil, la pastèque… Cependant la culture de l’arachide y occupe la plus importante part de l’activité agricole. Dans ce marché de la commune, certains producteurs d’arachide viennent y écouler leurs récoltes.

Malick Tine en fait partie. Taille élancée, teint noir, bonnet vert sur la tête, il arpente les allées du marché, sous une chaleur impitoyable, investissant tous les coins et recoins. Cette année, l’Etat du Sénégal a fixé le prix du kilogramme de l’arachide à 280 francs Cfa. Par contre, Malick vend le kilo à 400 franc Cfa. Un choix qu’il assume pleinement : « l’arachide m’appartient, j’en fait ce que je veux. L’Etat n’a pas le droit de fixer le prix de l’arachide ».   

Les programmes de réformes agricoles des hommes politiques sont souvent remis en cause par les acteurs du secteur. Tous les candidats à l’élection présidentielle de 2024 ont un programme dédié à la culture de l’arachide. Et trois semblent insister sur le sujet, à savoir Aly Ngouille Ndiaye, ancien ministre de l’Agriculture, de l’Équipement rural et la Souveraineté alimentaire, Thierno Alassane Sall de la « République des Valeurs » et Khalifa Ababacar Sall de « Taxawu Senegaal ».

 Dans son programme, ce dernier fait un diagnostic des problèmes du secteur agricole sénégalais. Ils sont entre autres : la mauvaise maitrise de l’eau avec une production agricole principalement saisonnière et pluviale fondée sur des spéculations commerciales, la cherté et la vétusté du matériel, l’inaccessibilité des intrants de qualité (semences certifiées, engrais, produits phytosanitaires), le déficit de concertation avec les acteurs… Un diagnostic partagé par les acteurs qui insistent sur les semences qu’ils mettent en tête des difficultés. 

 « Les semences ne sont pas de bonne qualité »

Pour Pape Abdoulaye Diouf, président de l’Union régionale des associations paysannes de Diourbel (Urap), les semences restent le noyau du problème. « Pour avoir de bons rendements, il faut d’abord de bonnes semences. Les semences que nous recevons ne sont pas de bonnes qualités. Elles ne sont pas également adaptées au type de sol que nous savons », déclare-t-il. D’après l’ancien ministre de l’Agriculture Aly Ngouille Ndiaye, avec « les 100 milliards de francs Cfa alloués à la campagne agricole, nous avons diminué le coût de l’engrais et des semences ». Une déclaration réfutée par Saliou Guedj Dione, paysan et membre du comité de distribution des semences de Diourbel.

Dans sa maison au quartier Cheikh Anta, le sieur Dione écoute tranquillement sa musique sérère. Il s’active dans la production de l’arachide depuis plus de 50 ans. Pour lui, « les semences et l’engrais sont toujours vendus à des prix très élevés ». Selon un agent de la Sonacos qui souhaite garder l’anonymat, « c’est la variété de semence 73 qui est cultivée à Diourbel alors qu’on devrait utiliser celle 55. En effet, la teneur en huile de cette dernière est plus élevée que la variété 73 ».

A cela s’ajoute, disent-ils, le retard dans la distribution des intrants. Pour ce point, le candidat Thierno Alassane Sall propose la modernisation de la gestion des semences et des intrants pour un accès à des produits de qualité et à temps, en favorisant les engrais organiques.   

Pape Abdoulaye soulève un autre problème : la non application de la loi n°2004-16 du 04 juin 2004 portant loi d'orientation agro-sylvo-pastorale. Une loi, selon lui, qui stipule que la professionnalisation du métier de l’agriculteur et la reconnaissance des productions familiales comme une entreprise. Il propose aux politiques de régler d’abord cette question et au prochain de faire de son application une priorité. Pour pallier ces manquements, Khalifa Sall propose dans son programme, de formaliser et d’organiser la profession d’agriculteur en le dotant d’un statut et d’un système de protection sociale.

A côté du problème des semences non certifiées, Saliou Guedj Dione considère le foncier comme un véritable casse-tête pour les producteurs agricoles. « Dans Diourbel commune, toute la terre est morcelée. Il y a 40 hectares que l’Etat a pris pour les 100 000 logements », informe le paysan.  « Si l'on exploite le potentiel agricole de la région de Diourbel, le pays pourrait atteindre l’autosuffisance en huile », poursuit-il.

L’arachide est une culture qui occupe beaucoup de Sénégalais. Les rendements à l’hectare sont encore faibles. Et pour atteindre cette autosuffisance, le candidat Aly Ngouille Ndiaye propose des investissements massifs dans le secteur arachidier. Comme l’acquisition de matériels agricoles modernes, la régularisation de la commercialisation de cette culture, entre autres.  Khalifa Sall, quant à lui, préconise de consacrer chaque année au moins 1 000 milliards de francs Cfa du budget national au secteur primaire pour la mise en œuvre des politiques d’accès aux ressources (eau, terre, matériels, semences, intrants, crédits), afin de moderniser le secteur.

La modernisation du secteur agricole

Selon les producteurs rencontrés, un autre grand problème de l’arachide méritant des assises nationales reste la commercialisation. Pour Pape Abdoulaye Diouf, toute la commercialisation repose entre les mains de l’Etat. Il n’y a aucune concertation avec les principaux concernés. « L’arachide nous appartient, nous en faisons ce que nous voulons. Au lieu de proposer un prix plancher, l’Etat devrait fixer un prix maximal raisonnable », fustige Pape Abdoulaye. Ce prix plancher fixé par l’Etat cause un réel problème à la Sonacos qui transforme l’arachide en huile. En effet, les producteurs préfèrent vendre leurs productions aux étrangers plutôt qu’à l’usine.

Pape Abdoulaye explique les raisons : « Ce prix ne nous arrangent pas. La culture de l’arachide a des dépenses énormes. Les producteurs vivent des moments difficiles. Nous ne pouvons pas vendre nos récoltes avec le prix de l’Etat. J’ai décortiqué toute ma récolte d’arachide. J’ai gardé sept sacs de 500 kg de semences, l’autre partie, je l’ai transformé en huile que je consomme à la maison. Ensuite, je vais attendre l’approche de l’hivernage pour vendre quelques sacs de semences. Le kilo sera à 1000 francs ».

L’ancien ministre Aly Ngouille Ndiaye propose de moderniser le secteur arachidier, une fois au pouvoir. Le président de l’Urap est de cet avis, mais prévient-il  : « moderniser le secteur ne se limite pas seulement aux matériels. Ça démarre par sensibiliser les cultivateurs sur le bien-être des animaux qu’ils utilisent. Pour moi, on n’a pas besoin d’un tracteur pour cultiver un petit espace. Il suffit juste de prendre soin de l’animal qu’on utilise pour faire le travail. Il faut également former les femmes aux techniques de transformation ». Quant à Saliou Guedj Dione, il pense qu’« il faut juste avoir des semences certifiées, organiser la collecte et proposer un prix attrayant ».

Cependant dans ce domaine, Thierno Alassane Sall,  leader de la « République des Valeurs », va plus loin. Pour lui, il faut adapter les technologies numériques à l’agriculture. Dans son programme, il dit vouloir fournir aux agriculteurs des données météorologiques en temps réel via mobile pour une meilleure planification des semis et des récoltes.

 

« A la Sonacos, tout est à l’arrêt »

A l’usine de la Société nationale de commercialisation des oléagineux du Sénégal de Diourbel tout est à l’arrêt. A part les agents de sécurité trouvés à l’entrée de l’usine, il est difficile de rencontrer un ouvrier. Pas un seul camion rempli d’arachide. Pas de machine qui fonctionne. C’est le calme plat. Issa Ly, secrétaire général du syndicat des travailleurs de la Sonacos pointe du doigt l’Etat du Sénégal. Selon lui, il ne veut pas régulariser ce secteur : « l’Etat doit appliquer le décret 2010-15 du 13 janvier 2010. Il est dit dans cette loi, que si la production n’excède pas 1.200.000 tonnes, pas d'exportation.» Mais le constat est que tout juste après les récoltes, le marché est ouvert et les Chinois viennent acheter l’arachide à des prix élevés.

Travaillant dans cette usine depuis 24 ans, il regrette la situation actuelle. « Rien ne marche, tout est à l’arrêt parce que nous n’avons pas l’arachide. Les opérateurs préfèrent vendre leurs arachides aux étrangers. A la Sonacos, l’arachide est notre matière première. Je demande au prochain président de la République de définir des paramètres très clairs dans ce secteur et d’arrêter la spéculation », déclare Issa Ly. Ce manque de matière première explique le coût élevé de l’huile locale sur le marché. Les 20 litres de l’huile « Niani » s’échangent à 32 000f CFA. Ce qui n’est pas à la portée de tous les Sénégalais. Et pourtant, il faut juste trois kilogrammes d’arachide pour avoir un litre d’huile raffinée, selon toujours Issa. 

En 2022, l’unité de Diourbel avait récolté plus de 40 000 tonnes. Une récolte qui leur avait permis de fonctionner pendant 10 mois et recruter plus de 400 saisonniers. Issa Ly renseigne que les politiques doivent prendre conscience que si la Sonacos fonctionne bien, tous les secteurs de la région en feront de même. Avec comme principal impact, la lutte contre le chômage dans la région. Par ailleurs, le syndicaliste suggère de moderniser les équipements : « la Sonacos a un problème d’investissement. Il faut trouver d’autres alternatives comme la culture par irrigation. Ne pas attendre la saison des pluies pour cultiver ».

La division des tâches selon les régions est adoptée comme politique de gestion à la Sonacos. A l’unité de Diourbel, ils font le décorticage de l’arachide, c’est-à-dire le « hand picked selected » (HPS), après, ils exportent les graines vers l’étranger. Les unités de Ziguinchor et Kaolack servent au pressurage des graines et celle de Dakar s’occupe du raffinage. Au-delà des graines aussi, les coques d’arachides sont utilisées pour fabriquer l’aliment de bétail. Jusque dans les années 2000, la Sonacos utilisait ces coques pour faire fonctionner sa centrale électrique.  

Selon le dernier rapport hebdomadaire du suivi de la campagne agricole 2023-2024 de la Direction régionale du développement rural (DRDR), 5667 tonnes de graines d’arachide ont été collectées dans la région de Diourbel (centre) depuis le début de la campagne de commercialisation. Sur les 5667,2 tonnes collectés, la Sonacos de Diourbel a réceptionné près de deux mille tonnes.

 

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Je suis diplômée du CESTI, lauréate du Prix Étudiant de la Convention des Jeunes Reporters du Sénégal. Je suis journaliste parce que je veux comprendre vite et faire comprendre vite.

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