Matar Cissé, le locataire du « cimetière des arts »
Se considérant comme un incompris, Matar Cissé vit dans son propre monde, qu’il dénomme « cimetière des arts ». Il fait de l’art abstrait au bord de la mer, à Soumbédioune.
Il a des objets qui ne le quittent jamais : son chapeau rouge-beige, ses lunettes marron et sa pipe. Contrairement à son environnement, Matar Cissé est « normal ». Délaissé par une société qui ignore son talent, ce natif de la Médina a trouvé refuge au bord de la plage de Soumbédioune depuis 1973.
Il est entouré de colliers, de gris-gris, de sachets plastiques, de bouts de bois, de grosses pierres ou encore de bouts de valises. Pour lui, tout est bon pour donner vie à un nouvel univers. Un monde rempli de personnages qui prennent vie et communiquent.
De l’art mystique ou encore de l’art abstrait. Matar Cissé n’a pas de téléphone pour communiquer. Il définit son monde comme un « cimetière ». Il prend les objets déjà utilisés par l’homme pour les transformer à sa façon.
Il fait de l’art abstrait. C’est pourquoi, son habitation est appelée le « cimetière des arts ». Le déracinement et la perte des valeurs sont les messages lancés à travers ses œuvres. Pour accéder à l’antre de l’artiste, il faut escalader les grosses pierres qui bordent la mer tout en faisant attention à son chien, son unique « colocataire ».
Pas de lit, ni rien qui peut indiquer qu’une personne loge sur les lieux. Tout est noir. C’est étonnant ! Mais pour lui, c’est une « chambre d’hôtel ». Son choix d’y habiter n’est pas lié au hasard.
« Je suis venu m’installer sur ces lieux parce que je ne me retrouve plus dans cette société sénégalaise. Et je ne regrette vraiment pas d’y venir, je sais que je suis incompris par la société. Beaucoup de gens me prennent pour un fou. Oui, je le suis, mais à ma façon », explique-t-il d’un air serein et dans un bon français. « J’ai choisi la mer parce qu’elle est ma confidente, jamais, elle ne me trahirait », ajoute-t-il d’un air convaincu. Il dit n’avoir aucun contact avec la famille. Ni physiquement, ni au téléphone. « Je préfère vivre ainsi. J’ai mes raisons », confie-t-il.
Né en 1956, Matar a passé son « temps boy » (enfance) à la Médina, quartier populaire de Dakar. Mégot de cigarette à la bouche, barbe blanche, ouverture d’esprit, Matar épouse les traits de son idole et ami d’enfance, Joe Ouakam.
Cinéma d’hier et Cinéma d’aujourd’hui
Certes ce denier n’est plus de ce bas-monde, mais pour Matar, son âme reste et inspire des générations. C’est avec un cœur rempli de bonheur et des larmes aux yeux que Matar se rappelle leur amour commun pour la culture, le cinéma en particulier.
Mais pour lui, le cinéma d’aujourd’hui est très différent de celui d’hier. Nostalgique du cinéma des anciens, l’artiste invite les jeunes à retourner aux sources. Il a joué dans beaucoup de pièces théâtrales. Celle qui l’a le plus marqué est « Waajur » (parent en langue wolof).
« A travers cette pièce, j’ai voulu montrer l’importance des parents dans la vie de la personne. Quand ils sont là, il faut profiter d’eux », conseille-t-il. Un message qu’il a compris quand les siens sont partis à jamais.
Vivant parfaitement son panafricanisme et son esprit « révolutionnaire », l’artiste au chapeau rouge est communément appelé « Blacky ». Un surnom qui colle parfaitement à son teint d’un noir d’ébène. Ce sont les femmes restauratrices qui sont à la plage qui lui donnent à manger. Gratuitement.
Son repas préféré est le mafé, plat à base de pâte d’arachide, que déguste souvent cet homme à la fois père et chef de famille. « J’ai une vingtaine d’enfants. Je suis un polygame et j’ai connu beaucoup de divorces », déclare cet homme de petite taille. « Durant ma jeunesse, beaucoup de filles me faisaient la cour. J’étais tout le temps sur mon trente et un », poursuit-il dans un grand éclat de rire.
Un rire qui semble traduire un certain optimisme. En effet, sa relève d’artiste est bien assurée au sein même de sa famille, car une de ses filles fait du théâtre. Même s’il ne vit pas avec ses enfants, certains parmi ces derniers passent de temps en temps lui rendre visite dans son « cimetière des arts ».
Pour Seydina Alioune, un jeune artiste, Matar Cissé est un monument. « Quand je veux me ressourcer, je viens ici », témoigne le jeune homme à dreadlocks. « Je n’ai pas de problème parce que, pour moi, chaque jour c’est férié ». Telle est la philosophie de Matar Cissé.