El Hadji Samba Diédhiou, photographe : Un destin capturé par l’objectif

Du haut de ses 33 ans, El Hadji Samba Diédhiou, dit « Baba Diédhiou », se promène avec une grâce contemplative dans la Galerie nationale d’art, appareil photo à la main. Alors qu’un groupe théâtral investit la scène, le jeune photographe suspend son pas et se penche avec une méticulosité respectueuse sur son précieux équipement.

Dans un geste empreint de soin, il ajuste minutieusement les sangles de son appareil photo, veillant à ce qu’il soit solidement fixé pour éviter le moindre risque de tremblement. Ses gestes sont mesurés. Chaque ajustement est effectué avec une précision quasi rituelle. Cette préparation n’est pas une simple formalité, mais un prélude sacré à la création artistique, une harmonie entre technique et passion. Le jeune photographe, vêtu d’une chemise à manches longues, ne se contente pas de capturer des images, mais s’efforce de saisir l’essence même des moments fugaces, d’extraire des histoires vibrantes à travers son objectif. Une fierté pour les habitants de Grand-Dakar.

« Pieux, Diédhiou est un homme de parole. Il aime relever des défis et constitue un exemple à suivre pour tout jeune », affirme Papa Ndao, qui l’a vu grandir.

Avec son débit de voix lent, Baba Diédhiou grasseye les « r » de ses mots, et d’un regard assuré, il offre un sourire immaculé, puis fait la mise au point sur sa profession. « La photographie est une manière de déchiffrer et de révéler le quotidien des individus », affirme-t-il. Son objectif, dit-il, est de capturer la vivacité humaine dans ses diverses expressions, ses émotions et sa joie de vivre. Sa véritable révolution artistique est survenue avec l’adoption du digital painting, lui permettant de transcender les limites de la photographie traditionnelle et d’explorer des éléments de rêve et d’imaginaire.

Baba Diédhiou se démarque par sa volonté de repenser l’art sous toutes ses formes, confrontant tradition et modernité pour repousser les frontières de son expression artistique. « Chaque exposition de Baba révèle de nouvelles facettes de sa créativité, invitant le spectateur à une conversation visuelle intense et intime. Sous ma curatelle, il continue à explorer une variété de sujets et à enrichir son œuvre de manière dynamique, faisant de lui un artiste à suivre de très près », témoigne Idrissa Diallo, son commissaire d’exposition.

Originaire de Silinkine, un village pittoresque de Casamance, au sud du Sénégal, Baba Diédhiou est né dans une fratrie de six enfants. Le jeune photographe, de taille moyenne, est diplômé du Centre international des arts contemporains et des cultures (Ciac) à Dakar et de l’École des arts visuels de Marrakech (Esav). De teint clair, le monogame, récemment marié, occupe aujourd’hui un poste de professeur en publicité et conception graphique à l’école nationale des Beaux-Arts de Dakar. Il assure aussi la fonction de chargé de communication au centre culturel régional Blaise Senghor de Dakar.

Nouvelle forme d’expression

Initialement, il était destiné à une carrière de footballeur professionnel, un rêve qui semblait à portée de main. Ses talents exceptionnels l’avaient conduit à passer des tests en Italie en 2010. Cependant, la fin des histoires n’est pas toujours celle que l’on espère. La même année, un tragique accident survenu dans son quartier de Grand-Dakar a emporté son ami et bouleversé sa trajectoire. Après des mois de convalescence, l’impossibilité de poursuivre sa carrière sportive conduit Baba à embrasser la photographie.

« Mon fils a eu la chance de vivre. Avant son accident, tout le monde chantait son talent au football. C’était vraiment dur, mais heureusement, son vécu a renforcé sa sensibilité intérieure », renseigne sa mère.

Cette transition a été empreinte de mélancolie, marquée par la difficulté de tourner la page d’un rêve brisé. Néanmoins, le jeune homme a réussi à définir un autre angle pour un avenir radieux, en se concentrant sur la photographie où il trouve une nouvelle forme d’expression. D’abord focalisé sur le football, Diédhiou a progressivement cadré ses thèmes photographiques. Ses œuvres révèlent une fascination pour l’esprit d’équipe, la solidarité et la performance, tout en intégrant une dimension culturelle et sociale.

Baba, loin d’être dans sa coquille, est un homme multidimensionnel, comme en témoignent ses proches. « Baba est admirablement bien éduqué. Il est toujours enclin à venir en aide aux autres, sans oublier sa volonté de partager son savoir et ses compétences. Sa récente exposition à la Galerie nationale a été phénoménale », affirme Ismaila Diédhiou, son grand frère. Avant d’ajouter : « Il est un frère très respectueux. Baba avait un talent exceptionnel pour le football. C’était difficile pour lui, mais grâce à Dieu, il est devenu un artiste avec une richesse intarissable d’inspiration. C’est aussi un frère très respectueux et religieux. »

Une immersion totale dans son univers visuel

« L’artiste cherche toujours à innover et à exprimer à travers diverses formes artistiques telles que la peinture, la vidéo et l’installation. L’exploration de la peinture par Baba a jeté les bases de son style distinctif, mêlant différentes techniques et explorant des thèmes profondément enracinés dans sa culture », témoigne encore M. Diallo, son oncle. Progressivement, Baba s’est tourné vers la photographie, intégrant de nouveaux éléments pour capturer le moment, en accordant une attention particulière à la composition et à l’esthétique visuelle.

Son travail se distingue par son originalité et sa recherche personnelle. Son approche artistique unique et son utilisation des couleurs et des textures apportent une profondeur et une richesse à ses créations. Ses œuvres invitent à explorer un univers fascinant où la danse, la couleur et la lumière se conjuguent pour créer une expérience visuelle empreinte de poésie et de sensibilité.

Reconnue et saluée, la carrière de M. Diédhiou est jalonnée de participations à des expositions collectives tant nationales qu’internationales. Finaliste du prix de la photographie, il a également été sélectionné pour plusieurs festivals, mettant en lumière ses courts-métrages et ses œuvres photographiques, dont un projet poignant sur les parcours de migrants. Par ailleurs, il a représenté le Sénégal aux Jeux de la Francophonie en août 2023. « L’évolution de mon travail est le résultat d’une persévérance constante et de l’entourage bienveillant qui m’a permis d’affiner ma propre vision artistique », se réjouit l’enfant de Grand-Dakar.

Parmi ses créations les plus significatives, une série dédiée aux femmes, et plus particulièrement une photo en hommage à sa mère, intitulée « Inna », occupe une place particulière dans son cœur. « Cette œuvre, prise lors d’une pièce théâtrale, est empreinte de sentiments personnels et d’admiration », précise-t-il.

Le jeune photographe a réalisé plus de 23 expositions. On peut citer entre autres « Goorgoorlou » (le débrouillard) et « Immigration : l’aventure incertaine ». Récemment, Baba Diédhiou a présenté l’exposition « Ubeeku » (Ouverture) en France, célébrant la tradition africaine. Après le pays de Marianne, il a pris part la semaine dernière au vernissage de l’exposition « Arts contemporains » en Autriche à Vienne, où il a exprimé sa satisfaction de faire partie de cette sélection pour représenter le Sénégal.

Ce Diola est très impatient et se prépare déjà pour la prochaine Biennale de Dakar. Selon, l’artiste, à travers chaque œuvre, il rappelle que le destin n'est pas simplement un « chemin tracé à l'avance », mais une toile vivante que chacun a le pouvoir de façonner. En capturant l'essence de nos choix et de nos passions, il nous invite à voir « au-delà des hasards » et à embrasser pleinement l'art du destin que nous créons nous-mêmes.