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L'ancienne piste de Mermoz, le point d’atterrissage de la précarité

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Dans l’agglomération de Dakar, tout n’est pas chic comme aux Almadies.  Après la destruction de la « cité imbécile » de Hann, le bidonville de l’ancienne piste est l’un des derniers quartiers flottants de Dakar. Niché entre la Voie de dégagement nord (VDN) et la cité Batrain de Ouakam, il sert de lieu d’habitation et concentre plusieurs activités. Les occupants de ce bidonville sont en proie à de nombreuses difficultés.

A l’entrée du quartier, non loin de l’ancienne piste du camp d’aviation de Ouakam, l’atmosphère est dominée par un ciel nuageux. Une file de voitures longe les trottoirs. Derrière elles, se dressent des ateliers, des boutiques et des gargotes

Ici, il est difficile pour les passants de marcher sans obstacle. De petits groupes de personnes essaient tant bien que mal de se faufiler entre des brouettes et des calèches stationnées au beau milieu de la rue. Le bruit émis par les machines de soudage se mêle à celui des marteaux carrossiers des tôliers.

De loin, l’odeur irrespirable de pneus brûlés guide les pas des visiteurs. Réparant une pièce de moteur sous un arbre, Amadou Pouye dispose d’un atelier de mécanique depuis 2004. En chemise violette tachetée d’huile, l’homme à la cinquantaine révolue affirme que le quartier est devenu méconnaissable au fil des années.

 « Auparavant, le secteur était exclusivement réservé aux mécaniciens évacués de Mermoz. Aujourd’hui, c’est un bidonville plein à craquer », décrit-il. Le cadre de vie s’est fortement dégradé, dit-il, estimant que le développement de l’habitat spontané a causé beaucoup de problèmes. « Les gens ignorent que c’est une zone industrielle. Au départ, l’érection de baraques était strictement interdite. Aujourd’hui, ce n’est plus le cas. Avec l’absence d’infrastructures sociales de base, les habitants sont obligés de subir les difficultés », souligne- t-il. 

Un habitat précaire 

A quelques encablures de là, sur une ruelle exiguë, des taudis recouverts de zinc et des tentes de fortune se comptent par centaines. Elles côtoient des ateliers et les sites de recyclage de métaux. On découvre le panorama de la désolation, la saleté, le désordre, l'encombrement et la puanteur. 

Au milieu de ce décor, des mômes déambulent au milieu des détritus pendant que des femmes lavent le linge. Parmi elles, Khady Ngom, vêtue d’un tee-shirt blanc et d’un pagne dépareillé. L’odeur incommodante ne semble point l’importuner. Grelottant dans ses habits mouillés, cette native du Baol vit dans le quartier depuis quelques années. Bossue et de petite taille, elle conte les difficultés des habitants de « Piste ba », comme elle appelle le lieu.

 « Nous n’avons pas le choix. Nous peinons à joindre les deux bouts. Nous rencontrons énormément de difficultés au quotidien. Le quartier est trop enclavé. Il n’y a même pas d’eau courante. Nous sommes obligés de marcher jusqu’à Mermoz pour avoir de l’eau », renseigne- t-elle. 

En face de Khady, Mame Diarra Dione lave des ustensiles de cuisine. Le ventre rebondi, les pieds dévoilant des traces de dépigmentation, elle dit vivre un calvaire. 

« La vie dans ce quartier est dure. Il n’y a pas d’électricité ni d’équipements nécessaires pour garantir un niveau de vie décent. Durant la saison des pluies, nos chambres sont même inondées. Il faut être très résilient pour vivre ici », déclare-t-elle d’un ton désolé. 

Le visage fermé, les yeux plissés par le vent, elle affirme que sur les sites de recyclage de métaux, les recycleurs brûlent des matières dangereuses. « La fumée est insupportable. Les maladies respiratoires sont devenues fréquentes, surtout pour les nouveau-nés », explique-t-elle.

 A ses yeux, l’afflux de plusieurs familles dans ce bidonville est motivé par des questions financières. « Les coûts du loyer sont très élevés à Dakar. Plusieurs familles n’ont pas les moyens pour se procurer un logement. Elles sont obligées de venir ici malgré les conditions de vie difficiles », souligne Mame Diarra. Selon elle, la surpopulation est à l’origine de la dégradation des conditions d’hygiène.

Un quartier insalubre

Sur la partie nord du quartier, des tas d’ordures s’étendent à perte de vue. Des femmes déversent des eaux sales à tour de rôle. Des ferrailleurs, en haillons crasseux, pioches à la main et sacs en bandoulière, se précipitent sur des gravats pour dénicher des morceaux de métaux, malgré la poussière suffocante. A côté, des enfants défèquent à l’air libre. Les passants doivent jouer les funambules pour ne pas être salis par les immondices.

Les maladroits s’en sortent avec un orteil, voire toute la cheville, trempés. Un problème persistant, selon Moussa Séne, un riverain. Il estime que la présence de flaques d’eau et excrétions a favorisé le développement de gites larvaires

« C'est déplorable ! Nous sommes exposés aux piqûres des moustiques. Avec les microbes, les diarrhées sont également fréquentes », affirme-t-il.  Moussa est témoin de la dégradation du cadre de vie. « L’absence d’un réseau d’assainissement adéquat est à l’origine de graves problèmes sanitaires. Ça fait plus d’une dizaine d’années que nous vivons ce calvaire », déclare-t-il. 

Les enfants, comme les adultes, ajoute-il, sont obligés de faire leurs besoins à l’air libre. Toutefois, cet homme, la quarantaine, fustige l’insalubrité de ces lieux très fréquentés : « Les camions de ramassage d’ordures n’entrent même pas dans le quartier. Les riverains sont obligés de transformer les espaces vides en dépotoirs sauvages. Même les habitants de la Cité Batrain jettent leurs ordures ici », se désole-t-il. Paradoxalement, l’inaccessibilité du quartier en a fait un refuge pour les malfaiteurs.

Une insécurité grandissante

Un autre son de cloche qui n’entre pas en divergence avec la tirade de Modou. Il est émis par Amadou Diallo. Chapelet à la main, l’homme psalmodie des versets coraniques sous l’ombre d’un baobab planté sur l’esplanade de la mosquée du quartier. Ce notable en djellaba noir souligne que « l’enclavement, mais surtout l’anarchie qui règne dans le quartier, est à l’origine de la recrudescence du banditisme »

Il confie que les agressions et les vols sont devenus récurrents. « Les descentes médiatisées des forces de l’ordre n’ont rien changé. Tous les lampadaires de la voirie principale ont été détruits. Parfois, les vols se produisent en plein jour », révèle-t-il. Awa Ndiaye abonde dans le même sens. 

Rencontrée sur une ruelle, cette trentenaire à la silhouette affinée, estime que les femmes sont les premières victimes. « Parfois, il arrive qu’en pleine nuit des hommes encagoulés frappent à nos portes pour essayer de nous dépouiller. Quand on rentre seul à pied, le soir, ça fait un peu peur », déplore-t-elle. 

De teint clair, avec une forte poitrine et des cheveux frisés, Awa souligne que les lieux sont infestés de bars clandestins et de dealers. Elle peste : « Des soulards nous empêchent de dormir tranquillement. Une fois ivres, ils se mettent à crier. En outre, nous sommes souvent réveillés par des bagarres de prostituées éméchées ».

Non loin d’Awa, Mor Guèye exprime un avis similaire. Ce tôlier d’une soixantaine d’années supervise ses apprentis avec bienveillance. Il déclare que les gangs dictent leur loi dans le secteur. « Parfois, ce sont des groupes d’individus armés de machettes et de couteaux qui sèment la panique. Les vols à moto se produisent presque chaque jour », affirme-t-il. 

Selon lui, les ouvriers ont maintes fois alerté les autorités. « Nous nous sommes rendus à plusieurs reprises à la gendarmerie, mais le problème n’est jusqu’à présent pas résolu », fait savoir le vieil homme. En représailles, dit-il, les malfrats n’hésitent pas à mettre le feu aux ateliers des individus qu’ils soupçonnent de les avoir dénoncés à la police. Le récent incendie dans un garage mécanique en est une illustration parfaite, soutient-il. 

 Récurrence des incendies

A la lisière du bidonville, sur les lieux du sinistre, des centaines de véhicules calcinés témoignent de l’ampleur des dégâts. Des morceaux de bois carbonisé, des débris de verre et des radiateurs réduits en amas de ferraille. On aurait dit un champ de bataille. Au milieu de ce désordre, Pape Ndiaye, apprenti, ne cache pas sa colère. Mine renfrognée, il accuse des malfrats d’être à l’origine de l’incendie.

 « Nous avons investi beaucoup d’argent pour rester dans le pays et gagner dignement notre vie. Aujourd’hui, des années d’efforts sont parties en fumée à cause des malfrats », dit-il après une kyrielle de plaintes. 

Sweat noir autour du buste et casquette sur la tête, il souligne que l’anarchie qui règne dans le bidonville a accentué l’incendie. « C’est la troisième fois qu’un incendie de ce type se déclare ici. Les sapeurs ont du mal à accéder sur les lieux à cause de l’encombrement de la voirie », dit-il, arguant que le site n’offre plus un cadre idéal pour exercer ses activés. 

En plus, « beaucoup ont déménagé à cause de l’image négative accolée au quartier », se désole-t-il. Arona Sène, porte-parole du collectif des mécaniciens de l’ancienne piste, préfère rester prudent. En ce qui concerne les auteurs des incendies, il dit ne pas vouloir s’y attarder. 

« Après tout, c’est la volonté de Dieu », se limite-t-elle à dire, fataliste. Il espère que le projet de recasement mettra fin à l’occupation anarchique du site et offrira un cadre de vie adéquat aux familles défavorisées.

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