L'oignon cultivé au Sénégal est-il cancérigène ?
Le 26 avril 2022, l’Initiative Prospective Agricole et Rurale (IPAR), un Think tank ouest africain, a organisé un webinaire sur le thème « Post Covid-19 et Guerre en Ukraine : quelles conditions à la souveraineté alimentaire ? » Prenant part aux débats comme “spécialiste des chaînes de valeurs agricoles et de l’entreprenariat des jeunes”, l'entrepreneuse Mame Khary Diène, a déclaré que la variété de l'oignon cultivé au Sénégal est cancérigène. Nous avons vérifié cette affirmation.
« ...je prends le cas de l’oignon. La variété que nous avons au Sénégal, nous la connaissons. Le fait d’avoir règlementé au niveau étatique le marché en permettant la fermeture des frontières pendant une partie de l’année, résout une partie du problème. Mais le problème est ailleurs parce que cette variété que nous avons, la variété échalote de l’oignon, nous savons que cette variété a muté. Nous savons qu’elle est cancérigène. Nous savons que la semence doit être réintroduite. Qu’est-ce que l’Etat sénégalais fait ? Est-ce qu’il y a un plaidoyer pour que cette variété soit réintroduite ? », affirme-t-elle à la 57ème minute et 26 secondes des échanges.
Nous avons, à plusieurs reprises, essayé d’entrer en contact avec Mame Khary Diène afin de savoir la source de ses propos. Mais à chaque fois elle renvoie notre entretien en nous assurant qu’elle allait nous recontacter.
Quelles sont les variétés cultivées au Sénégal ?
L'oignon ou ognon, prononcé /É”.ɲɔ̃/, est une espèce de plantes herbacées bisannuelles largement et depuis longtemps cultivée comme plante potagère pour ses bulbes de saveur et d'odeur fortes ou pour ses feuilles. Il appartient à la famille des Amaryllidaceae ou Liliacées.
Pour déterminer les variétés d’oignon cultivées au Sénégal, nous nous sommes rapprochés de deux entreprises qui s’activent dans la recherche, la production et la distribution de semences au Sénégal. La première est la société TROPICASEM et la deuxième Niayes Sarraut.
A TROPICASEM, le commercial Cheikh Sall nous a fait part de la liste non exhaustive des variétés d'oignons cultivés au Sénégal. Elles comprennent : le Violet de Galmi, Noflay, Yaakar, Red Créole, Jaune de Valence hâtif, Texas Early Grano, Jaune espagnol tardif, Valencia, Rouge d'Amposta, Rouge Espagnol. Il nous explique que ce sont ces semences que son entreprise développe et commercialise auprès des producteurs tout en assurant que la variété échalote ne fait pas partie de leurs spécialités.
A Niayes Sarraut, le responsable commercial Kowry Fall, sans faire mention de la variété échalote, renseigne que les variétés « les plus connues » chez eux sont - outre le Violet de Galmi, le Texas Early Grano, le Rouge d’Amposta-, le Quartz, le Mercedes, le Belami et le Victoria.
« Parmi les variétés que j’ai citées, il y a des hybrides. C’est-à-dire des F1 qui sont maintenant très prisées par les producteurs », a confié M. Fall.
Joint par téléphone, le président du Collège national des producteurs d'oignons du Sénégal, Boubacar Sall, a confirmé les informations susmentionnées tout en précisant que la variété Violet de Galmi est la plus cultivée dans la vallée du fleuve Sénégal, dans le Nord du pays.
La première conclusion que l’on peut tirer est qu’il existe plusieurs variétés d’oignons cultivées au Sénégal et l’échalote n’en fait pas partie, contrairement à ce que laisse entendre Mme Diène.
Existe-t-il une variété échalote de l’oignon ?
« L’échalote est une culture, un légume, comme vous dites l’oignon, la pomme de terre ou la tomate. L’échalote est donc un légume à part. L’oignon en est un autre. Il y a diverses variétés d’échalotes comme il y a diverses variétés d’oignons », a souligné l’agronome Dr Macoumba Diouf, par ailleurs Directeur de l’Horticulture au ministère de l'Agriculture et de l'Equipement Rural du Sénégal.
Insistant sur la différence qui existe entre les deux espèces, Dr Diouf a fait savoir que « l’échalote ne produit pas de gros bulbes. Elle donne de petits bulbes. Et un oignon ne doit pas donner de petits bulbes. L’oignon est fait pour donner des bulbes assez gros ».
Selon Dr Djibril Diop, chercheur au laboratoire de botanique et biodiversité du département de biologie végétale de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar, l’oignon est beaucoup plus cultivé au Sénégal que l’échalote.
« A Niayes Sarraut, nous produisons une variété d’échalote qui s’appelle échalion, mais qui n’est pas très prisée au Sénégal parce qu’étant très peu connue. Nous avons même du mal à l’écouler et c’est aussi une variété qui coûte chère », précise Kowry Fall.
Au regard de ces différentes explications, nous pouvons également conclure que l’échalote et l’oignon sont deux espèces différentes.
Est-ce que la mutation génétique peut rendre une semence cancérigène ?
Dans son intervention, Mme Diène a affirmé que la variété échalote de l’oignon a muté et qu’elle est désormais cancérigène.
Cette idée a été réfutée par le Dr Macoumba Diouf qui explique que la mutation est un phénomène physique connu qui peut affecter tout matériel biologique notamment les cultures à travers leurs semences. Mais cette modification, dit-il, n’est pas cancérigène.
« Pour changer les caractéristiques d’une variété comme le mil, le maïs ou l’arachide qui produit très peu de graines, vous la faites muter. Cela peut favoriser la production de graines au détriment de la production de fanes. Cela peut changer aussi la taille ou le nombre de graines par gousse », détaille-t-il.
A l’en croire, si la mutation était cancérigène elle n’aurait pas été utilisée par l’Agence Internationale de l'Énergie Atomique (AIEA) et d’autres scientifiques pour améliorer du matériel végétal ou favoriser une diversité génétique.
Parmi les variétés d’oignons cultivées au Sénégal, existe-t-il une qui serait cancérigène ?
L’information selon laquelle la variété de l’oignon cultivée au Sénégal a muté et qu’elle est cancérigène n’est pas vérifiée au niveau de la direction de l’Horticulture. Selon son directeur, cela n’engage que la personne qui l’a dite et il faut qu’elle en fournisse les preuves. Il précise que la mutation est bien possible, mais elle n’est pas cancérigène parce que c’est une technique utilisée pour améliorer les rendements.
Le président du Centre international de cancérologie de Dakar, Dr Abdoul Aziz Kassé, abonde dans le même sens : « Ce que dit cette dame me pose problème. Je n’ai pas d’arguments pour la suivre dans son raisonnement. Aucun argument. Je ne connais pas de variété d’oignons qui puisse donner le cancer. Et je ne comprends pas par quel mécanisme un oignon peut être cancérigène pour un homme ou une femme ».
Par contre, relève le médecin, le non-respect des prescriptions recommandées pour l’usage de certains pesticides peut conduire à une contamination des oignons par des produits potentiellement cancérigènes qui seraient présents dans certains pesticides.
Et même si cela se produisait, poursuit le cancérologue, « ce n’est pas une seule consommation d’oignon qui va vous donner le cancer, mais c’est une utilisation prolongée de ce pesticide qui peut s’accumuler dans le corps pour donner un cancer ».
Dr Djibril Diop du laboratoire de botanique et biodiversité du département de biologie végétale de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar ajoute que pour qu’un cancer, dont l’origine serait l’oignon, soit diagnostiqué chez une personne, il faut par exemple avoir cinq ans de consommation d’oignons, ce qui équivaut à environ 10 voire 20 tonnes.
D’après Dr Diop, plusieurs études portant sur l’oignon ont été récemment effectuées au sein de leur laboratoire, mais aucune n’a fait état d’une variété qui serait cancérigène. Et si tel était le cas, dit-il, les chercheurs se seraient déjà saisis de la question pour voir quelle est l’origine de cette modification génétique.
Dr Djibril Diop a aussi souligné le fait qu’il est extrêmement rare de voir des plantes qui produisent des substances cancérigènes. « Chez les plantes que l’on consomme, insiste-t-il, c’est quasiment impossible. Elles peuvent être contaminées par les pesticides, les engrais ou les eaux de ruissellement, mais pas produire elles-mêmes des substances cancérigènes », ajoute-t-il.
S’agissant des pesticides, le président du Collège national des producteurs d'oignons du Sénégal, Boubacar Sall, a assuré qu’ils sont très rarement utilisés dans la culture de l’oignon parce que ce dernier subit peu d’attaques contrairement à la tomate.
Conclusion
A la 57ème minute et 26 secondes des échanges du Webinaire organisé par l’Ipar le 26 avril 2022, Mame Khary Diène a affirmé que la variété d’oignon cultivée au Sénégal a muté et qu’elle est désormais cancérigène.
Aucune de ces déclarations n’a été confirmée par les différentes structures et personnes ressources que nous avons contactées. Toutes ont réfuté l’idée d’une seule variété d’oignons qui serait cultivée au Sénégal.
Elles ont également fait savoir que la mutation est un phénomène biologique normal qui se produit dans certaines conditions et qu’elle ne peut pas être source de cancer. Elles ont aussi indiqué qu’il est extrêmement rare voire impossible de trouver, parmi les plantes consommées par l’Homme, certaines qui produisent des substances cancérigènes.
En conséquence, les affirmations de Mame Khary Diène sont sans preuves.
Toutes nos tentatives pour entrer en contact avec Mame Khary Diène, analyste financière et Business-consultant de formation, sont restées vaines. Cet article sera complété dès qu’elle nous fournira ses sources.