A Touba, les avis divergent après l'interdiction des activités politiques
La tenue d’activités politiques à Touba est interdite par le Khalif général des Mourides, Serigne Mountakha Bachir Mbacké. Face à cette décision, les hommes politiques ont trouvé d’autres alternatives comme se tourner vers Mbacké ou alors sensibiliser les populations à aller récupérer leurs cartes d’électeurs. Dans ce reportage dans la cité religieuse, les populations donnent leurs avis sur la question.
A Touba, l’atmosphère est à la célébration dans la foi et la dévotion. Des sonorités créent une ambiance enflammée. De partout, résonnent des «Khassidas» qui font bourdonner les oreilles. Dans la cité religieuse, fondée par Cheikh Ahmadou Bamba, l’heure est au «Kaju rajab», moment de prière et d’incantations, qui marque la naissance de Serigne Fadilou Mbacké, deuxième Khalif de la confrérie mouride.
C’est un groupe de pèlerins qui dévalent les rues pour se rendre à la grande mosquée de la ville. A l’entrée du lieu de culte, un bâtiment imposant composé de sept minarets qui surplombent la ville, les fidèles slaloment et forment une file indienne pour pénétrer l’enceinte sacrée afin de sacrifier à la prière de «Tisbaar ».
Tous les trottoirs sont envahis par des produits de toutes sortes qui transforment la ville en une grande foire. Au marché « Ocass », les microphones des vendeurs tentent d’attirer l’attention des nombreux visiteurs. Ils sont venus des quatrs coins du pays pour écouler leurs marchandises. Les «baay faal», eux, surveillent attentivement les moindres faits et gestes des personnes. Habillés en grand boubou aux couleurs noires et blanches, ils veillent à la sacralité des lieux sous les ordres du Khalife général des Mourides Serigne Mountakha Bachir Mbacké.
Une liste des interdits a été dressée par le guide notamment les activités politiques dans la ville sainte, située à 194km de la capitale sénégalaise. Ce ne sont pas seulement les meetings, caravanes ou rassemblements politiques, comme les campagnes électorales, qui sont désormais prohibés dans cet endroit situé au centre du Sénégal.
« Une ville, plusieurs interdits »
À l'approche de l’élection présidentielle, une décision a été prise par le guide religieux de Touba, interdisant toute activité politique dans la cité. Cette mesure a suscité de vives réactions chez les habitants et les politiciens locaux. Certains ont exprimé leur inquiétude quant à l'impact sur le processus électoral et la liberté d'expression, tandis que d'autres ont salué cette initiative comme un moyen de préserver la paix et la stabilité dans la ville.
Mama Diakhoumpa est un commerçant de produits cosmétiques. Assis à côté de son étal de maquillage, il estime que le guide religieux a pris la bonne décision. «Nous sommes dans une cité religieuse très bien organisée. Nous n’avons pas besoin des politiques qui viennent nous tympaniser avec des histoires surtout la musique lors des meetings», dit-il. Avec un ton assez ferme, le commerçant déclare : «Tout le monde doit se conformer à la décision du guide religieux ».
Cheikh Seck abonde dans le même sens que son ami commerçant. Écharpe aux couleurs du drapeau national autour du cou, Cheikh s’active dans le commerce d’habits pour homme depuis la fermeture de l’Université Cheikh Anta Diop. D’ailleurs sur son polo de couleur verte, on peut lire : «étudiant au cœur du business ». De teint noir, le jeune homme, âgé d’une vingtaine d’années, milite dans un parti politique. «Je me conforme à la décision du khalife. Je sais que ce n’est pas facile pour nous qui menons des activités politiques, mais, quand il décide de quelque chose, on exécute. Il prime sur la politique», dit-il avec un air sérieux.
A quelques jets de pas de Cheikh, se trouve une dame qui préfère garder l'anonymat. En effet, elle considère que ce sujet est sensible dans la ville. Raison pour laquelle, elle ne veut pas se faire enregistrer. Avec l’interdiction de la politique à Touba, la jeune dame craint une restriction de leurs droits politiques fondamentaux.
De teint clair, elle consulte via son téléphone les dernières actualités politiques du pays. L’enregistreur éteint, elle déclare : «Je suis contre la décision du Khalif. Certes, il est le guide de la ville, mais chacun a le droit de mener ses activités tranquillement. Qu’elles soient politiques ou pas».
Assise tranquillement sur une chaise, elle poursuit sa confidence : «l’interdiction des manifestations politiques dans la cité a un impact sur nous les femmes. Les meetings nous permettraient de recevoir de l’argent même si la somme est dérisoire. Mais on parvenait à subvenir à nos besoins». Suite à l’interdiction de faire la politique dans la ville, les acteurs du domaine ont trouvé d’autres alternatives.
Mbacké, le retrait des cartes d’électeurs…
En revanche, c’est à Mbacké, localité située à quelques kilomètres de la ville sainte, où se tiennent dorénavant les manifestations politiques. Les sièges des partis politiques sont déplacés sur ce département devenu le plus peuplé du Sénégal. Serigne Cheikh Thioro Mbacké, député et membre du parti politique dissous, Pastef, affirme : «Toutes nos activités se tiennent maintenant à Mbacké depuis la décision du Khalife ».
Dans sa maison, à Ndindy, un célèbre quartier de Touba où s’élèvent des percussions et autres rythmes qui enveloppent toute la cité dans l’allégresse, l’homme politique déclare que cette décision n’empêche en rien la tenue normale de leurs activités. Du côté des jeunes, il sensibilise la population à aller récupérer leurs cartes d’électeur afin de voter le jour de l’élection. Pour preuve, le député déclare que 14.000 personnes de Touba se sont inscrites sur les listes électorales lors de la dernière révision du fichier électoral.
Massamba en fait partie. En compagnie de ses amis, ils discutent du report de l’élection présidentielle. Main à la poche, il sort sa carte d’électeur pour montrer qu’il est prêt à aller voter le jour de l’élection. « Comme le khalife a interdit de faire la politique dans la cité, je trouve que récupérer ma carte est la solution. Je la garde jalousement», confie-t-il. D’ailleurs, la dame qui préfère garder l’anonymat a mobilisé toutes les femmes de son quartier pour s’inscrire et récupérer leurs cartes : «Nos cartes sont nos voix », assure-t-elle avec un sourire qui laisse apparaitre une dentition impeccable.
Certains habitants de la ville approuvent la décision du Khalif. Cependant, quelques-uns d’entre eux disent que cette sentence ne peut pas influencer leur vote. A Touba, depuis longtemps, certains se sont toujours conformés au « ndigeul de vote » (consigne de vote) de leur guide spirituel. A la question de savoir si le « ndigeul » existe toujours dans le vote, les avis sont partagés.
Assane Diop, marchand ambulant habitant Touba, déclare que même si son marabout ordonnait à ses talibés de voter pour tel candidat, il ne respecterait pas cette consigne. « Ma carte est la mienne, pas celle de mon guide spirituel. J’ai le droit de donner mon avis sur mon pays », martèle-t-il.
A côté de lui, se trouve Moussa Kâ. Lui, il se conforme aux décisions de son guide quel que soit le sujet. Même en politique. « Si mon marabout me demandait de voter pour un candidat, je le ferai sans hésitation. Je lui ai consacré toute ma vie », déclare-t-il. Pour certains habitants de la ville, le « ndigeul » existe toujours dans le vote, pour d’autres, c’est révolu.