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L’enseignement coranique, grand absent des programmes politiques

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Dans la fièvre de l'élection présidentielle, l'enseignement coranique s'est imposé comme un enjeu crucial. Au Sénégal, la question revient de façon récurrente dans les propositions des hommes politiques. Ils parlent tous de la modernisation du secteur. Cependant, c’est une question sur laquelle les acteurs du secteur ne sont pas d’accord.

Assisses sur une natte à l’étage d’un bâtiment R+1, une dizaine de jeunes filles, toutes voilées, âgées entre cinq et huit années, récitent des versets coraniques, leur mélopée en chœur. Elles apprennent le saint Coran. A l’arrivée d’un visiteur, elles arrêtent leurs cours pour venir saluer l’invité. Il est 20heures, c’est l’heure de la descente. Sous la surveillance de Anta Dème, les disciples s’apprêtent à effectuer la dernière prière de la journée. Teint clair, taille élancée, Anta Dème est la maitresse coranique. Habillée d’une robe de couleur blanche assortie à un voile rouge, elles donnent des directives aux filles.

Après avoir effectué ses études en arabe jusqu’en classe de terminale et le baccalauréat en poche, Anta Dème décide de créer en septembre 2014 son propre institut islamique dénommé Cheikh Mouhamadou Dème de Diourbel. Aujourd’hui, la jeune dame gère une trentaine d’enfants dans son « daara » (école coranique). Et ne lui parler pas du soutien de l’Etat du Sénégal dans le développement des « daara ».  «Le secteur de l’enseignement coranique n’a pas les mêmes droits que l’enseignement français dans ce pays. Il y a une discrimination dans ce secteur. Les subventions sont accordées à une frange des maitres coraniques, alors que ça devrait être pour tout le monde », déplore-t-elle.

Un argument que réfute Ndiogou Samb du bureau de l’enseignement arabe et daara de Diourbel. Trouvé à l’inspection générale de l’éducation et de la formation de la région, l’homme habillé en grand boubou blanc estime que l’Etat est en train de faire un bon travail pour les « daaras ». « Il nous aide vraiment. Le seul problème est que c’est un secteur très difficile à gérer. Les maitres coraniques ne sont pas unis. On ne sait pas qui est qui et qui fait quoi », s'insurge-t-il. « L’Etat a dédié une direction aux daaras logée au ministère de l’Education nationale. Maintenant, nous voulons même un ministère ou une grande agence », ajoute Ndiogou Samb.

La modernisation des « daaras », une question qui divise

Sur la modernisation des « daara », Anta Dème, investie lors des législatives de 2022 par la coalition « Aar Sénégal » en fait un fort plaidoyer pour appuyer la volonté des autorités. « Nos gouvernants doivent construire des écoles modernes pour l’enseignement coranique comme celles de l’enseignement en français. Ils doivent également accorder un salaire à chaque maitre coranique. Même si c’est 50000 frans Cfa », plaide-t-elle.

Serigne Bassirou Dieng, maitre coranique dit ne rien attendre des hommes politiques. De petite taille, barbe blanche, il est tout de noir habillé. Recevant dans son salon, et derrière un sourire qui laisse apparaitre la clarté de ses dents blanches, il évoque ses raisons : « Je n’attends rien de l’Etat pour les daaras. Depuis plus de 40 ans, c’est la même chose. Rien n’a changé. Toujours les mêmes promesses. L’Etat ne peut pas nous accorder des salaires, parce que nous ne travaillons pas pour lui. Il ne nous demande pas de résultats. Ce n’est pas comme l’école française où tout est bien organisé. Le programme est bien défini… Nous prenons notre propre initiative pour ouvrir nos daaras.»

Une absence étatique confirmée par la propriétaire de l’institut islamique Cheikh Mouhamadou Dème. Anta informe n’avoir jamais vu une autorité politique dans son « daara », avant de préciser qu’ « il y a des intérêts personnels dans ce secteur. L’Etat doit mener des enquêtes profondes ». Serigne Bassirou Dieng abonde dans le même sens : « les hommes politiques viennent nous voir tout le temps, mais c’est juste pour nous politiser. Si nous sommes d’accord, ils nous octroient des financements. D’ailleurs, je ne crois même pas à ces financements ».

Pourtant, certains talibés sont loin d’être réfractaires à la modernisation de leur secteur. Dans leur daara, en ce jeudi 08 février, ils ne font pas cours. Certains en profitent pour faire le linge tandis que d’autres sont en train de jouer. Ils désignent Attékhe Ndiaye comme porte-parole. Selon lui, les talibés n’ont besoin qu’une seule chose « la reconnaissance des doomu daara ». Au-delà de cette reconnaissance, Anta et Mme Kane, la coordinatrice des « ndeyou daara » (marraine des talibés) de Diourbel pensent qu’il faut intégrer certaines matières dans l’enseignement coranique comme le français, l’anglais, les mathématiques et l’informatique.

Mais surtout former les maîtres et maîtresses coraniques dans différents secteurs : « les maitresses daaras doivent être formées à des techniques de fabrication de savon, eau de javel. Ça leur permettra de diminuer leurs dépenses », estime la coordinatrice. Pour le moment, la région de Diourbel compte douze écoles coraniques modernes.

Mme Kane estime toujours que pour mettre en place cette proposition de modernisation dans le pays, il faudra d’abord adopter le projet de loi portant statut des écoles coraniques par l’Assemblée nationale. Pour elle, « il faut définir le statut de Serigne daara. Dans ce secteur, on ne sait pas qui est et qui fait quoi. Je ne pense pas que maitriser le coran suffit pour ouvrir un daara».

Du sol aux tables-bancs

Anta Dème va plus loin. Elle renchérit que les maîtres coraniques doivent être dans la légalité d’abord avant d’ouvrir un daara. « Nous devons avoir tous les papiers légaux pour pouvoir ouvrir un daara. Je dispose d’une attestation avant d’ouvrir le mien. Mes collègues aussi doivent faire pareil », plaide Anta. Sur ce point, Ndiogou Samb, du bureau de l’enseignement arabe et daara de Diourbel, est sur la même longueur d’ondes que Anta. 

Il précise que « l’Etat doit former les maitres daaras. La nourriture ne suffit pas. Nous sommes une couche très importante dans la société. Il faut régulariser les daaras. Il y a beaucoup de personnes qui se cachent dernière le nom daara pour faire des actes irresponsables ». Mais Serigne Bassirou Dieng met un bémol à la réussite de ce projet de modernisation car selon lui, « l’enseignement coranique a ses propres principes. Il faut également un travail psychologique des populations vis-à-vis des doomu daaras. Certains ont un regard négatif envers les personnes issues de ce milieu ».

La modernisation des « daara » implique aussi la construction de salles de classes modernes où les apprenants vont s’assoir sur des tables banc. Une perspective qui ne reçoit pas l’assentiment de Serigne Modou Mbenda Fall, porte-parole du khalife général des « baay faal ». « Je suis contre le fait que les apprenants puissent s’assoir sur des tables bancs pour apprendre le coran. Ici à Touba, ils s’assoient à même le sol. Ça leur permet d’avoir la modestie, l’humilité, l’éducation... Avec la modernité, on a tendance à tout rejeter », informe-t-il.

Mme Kane n’est pas de son avis  : « La personne peut mémoriser le Coran sans pour subir autant de brimades. L’Arabie Saoudite a le meilleur exemple de l’enseignement coranique au monde. Pourtant, ils ont des salles de classes climatisées avec des chaises... Le monde bouge, il faut bouger avec. On n’a pas besoin de s’assoir à même le sol avec les habits pour apprendre le Coran. Je ne pense pas qu’il y ait une différence entre les deux. Tout dépend de la qualité de l’enseignement. Il faut que les « Serignes daara » acceptent de changer leurs mentalités », rétorque la « Ndeyou daara ».

 

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Publié

Je suis diplômée du CESTI, lauréate du Prix Étudiant de la Convention des Jeunes Reporters du Sénégal. Je suis journaliste parce que je veux comprendre vite et faire comprendre vite.

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