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Sadou Ba, Président du Club changement climatique de Ziguinchor: « La Casamance n’est plus verte »

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Regroupant une centaine de jeunes bénévoles, le club changement climatique de Ziguinchor accompagne, depuis sa création en 2018, les communautés du sud dans le combat pour la défense de l’environnement et la restauration des écosystèmes naturels dégradés. Son président Sadou Ba, jeune doctorant en droit public international, spécialisé en Droit de l'environnement et changement climatique dresse, dans cet entretien, la situation environnementale dans la région de Ziguinchor, égraine les actions entreprises dans ce sens par les jeunes et fait part de ses attentes par rapport à la présidentielle dont la date de tenue n’est pas encore connue.

Pouvez-vous revenir sur l’objectif et les grandes réalisations du club changement climatique ?

Le club changement climatique est une initiative de jeunes de Ziguinchor, y compris le conseil régional de la jeunesse (CRJ). Il a pour vocation la sensibilisation, dans un premier temps, des jeunes sur le changement climatique, dans le but de les pousser à changer leur comportement vis-à-vis de la nature, de l'environnement. Et c'était cela le premier objectif que nous nous étions fixés. Au fur et à mesure que des années passées, nous avons développé d'autres initiatives qui ont accompagné cette mission. Parce qu’on a compris que, pour une bonne sensibilisation des jeunes, il faudrait joindre l'acte à la parole. C'est dans ce sens-là que nous avons initié des actions que l’on appelle actions climatiques. Par action climatique, il faut comprendre des actions de reboisement de filaos, des plantes, restaurer la mangrove et des sols mais aussi nettoyer certaines artères et certains endroits de la commune de Ziguinchor ou ailleurs.

Dans ce programme d'action climatique, nous avons développé plusieurs concepts. À Ziguinchor, nous avons développé dans un premier temps le concept « une école, des arbres ». Chaque école doit avoir des arbres pour permettre aux élèves de quand-même profiter de ces arbres-là. Dans cette sensibilisation, il faut donc pousser les élèves à reboiser leur établissement. Tous les établissements ciblés regorgent de bons élèves. Ces derniers vont continuer la mission. Pour nous, c'est une satisfaction car l’objectif recherché demeure le changement de comportement des jeunes.

Mais pourquoi ce choix porté sur les jeunes ?

Ce sont ces jeunes qui vont à l'école. C’est aussi eux qui reviennent à la maison. On n'a pas le temps d'aller dans chaque maison, chaque ménage, d’aller voir chaque parent. Mais si l’on sensibilise ces jeunes, ils vont sensibiliser à leur tour leurs parents. Et les retours sont jusque-là positifs.

En outre, on apprend à ces jeunes un certain nombre de comportements. Par exemple, quand la salle est vide, les lampes doivent être éteintes. Ce sont de petits gestes que nous avons développés. Et les gens commencent à s’approprier de ces concepts.  C'est cela qu’on a fait à Ziguinchor dans un premier temps. Et à un moment donné, on s’est dit qu’il faudrait être plus global en allant au-delà de Ziguinchor.  C'est pourquoi, on a été à Bignona, à Niaguiss, à Diembéring... pour des actions de reboisement.

L’autre problème de la Casamance, c'est l'avance de la mer. Dans les rencontres sur le changement climatique, on parle souvent de problèmes climatiques dans la petite côte (Dakar, Bargny…) mais on oublie la Casamance. Alors que si des études ne sont pas faites pour apporter des solutions, certains villages risquent de disparaitre.

Par exemple ?

Vous prenez l’ile de Carabane, ou Diembéring, ce sont des villages qui sont menacés par l'avance de la mer. À Carabane, on a décidé, en 2019, avec un partenaire, de mettre en place une digue anti-érosion. Malheureusement, cela n'a pas pu tenir. Après quelques mois, la digue a disparu.  Aujourd’hui, quelqu’un comme Patrick Sabanier, continue jusqu’à présent ce travail à l’île de Diogué, avec les élèves de la localité. Ils ont développé ce qu'on appelle le système des épis. C'est un système qui permet aux gens de d’utiliser les feuilles de palmiers ou les filets de pêche pour contrer l’avancée de la mer. C’est une solution un peu lente, mais quand l'eau monte avec la basse marée, en retournant, elle va laisser du sable à travers ces feuilles de papaye, des feuilles de palmiers ou les filets de pêche.

Cela demande beaucoup de moyens. Parce qu'il faut trouver et mettre des piquets pour mesurer et comprendre la hauteur. C'est un travail coordonné, très local et qui, quand-même, a donné des résultats. Je pense que les gens, l'État ou les organisations internationales doivent encourager et accompagner ce genre de travail. Parce qu’au moins 4 à 5 centimètres de sable est retenu chaque semaine. On commence à récupérer la berge. Et cela, c’est grâce à Patrick et aux élèves.

À Diogué, le club changement climatique a opté pour des séances reboisements de filaos. Dans notre club, il y a beaucoup de disciplines. Nous avons des agroforestiers, des géographes, des chimistes et même des économistes. C'est pourquoi on développe plusieurs activités qui permettent de faire face aux changements climatiques. Et c'est pourquoi, depuis 2019, avec le conseil régional de la jeunesse (CRJ), on a développé une campagne de reboisement des filaos tout au long de la côte de Diembéring. C'est vrai que les filaos ne sont pas une solution durable, une solution, si vous voulez, définitive. Par contre, on sait que la plante est très importante. Non seulement, les filaos vont fixer la dune, dans un premier temps, mais également, ils vont permettre de ralentir l'avancée de la mer. Parce que, n'oubliez pas que c'est ce vent qui fait que l'avancée de la mer va plus vite. Donc, s'il y a des filaos tout au long de la côte, l’avancée de la mer est ralentie. C'est pourquoi nous avons opté pour cette solution. Le club, le CRJ et d'autres jeunes se rendent chaque année à Diembéring pour reboiser les côtes. Parce qu'à Dienbering, à un moment donné, c’était très catastrophique.

Qu'en est-il de la salinisation des sols et du trafic de bois ? Est-ce que c'est toujours d'actualité ?

D'ailleurs, c’est dans ce sens que je voulais venir, avec la mangrove. Il y a des communautés qui vivent avec les produits halieutiques. Il y a toute une économie autour de la mangrove. Si vous connaissez le Boulouf, c’est une zone à partir de Diégoune, Carabane, Bessire, Kartiack…, c'est des villages qui sont entourés d’eau. Cela veut dire qu'ils vivent de la riziculture. Ce sont des villages dont 80% du riz qu’ils consomment proviennent des rizières. Et vous savez que le vrai diola, même s'il a des millions, il préfère le riz cultivé chez lui. C'est culturellement ancré et je pense que c’est recommandé.

Malheureusement, depuis quelques années, les Hommes perdent leurs terres cultivables à cause de la salinité du sol. Et conscient de ces enjeux, le club a développé une campagne de restauration de la mangrove. Parce que, en dehors, du reboisement, ce qui nous intéresse, c’est l’impact de nos actions sur la communauté. Si les rizières sont tous salées, l'eau va reculer.

Par ailleurs, les mangroves ont le rôle de production de poissons. Les communautés perdent leurs poissons quand les mangroves disparaissent. À Kagnobon, les gens ne peuvent plus pêcher, pareil à Diogué. Et pourtant les gens vous disent que 30 ans derrière, ce sont les femmes qui allaient pêcher pour venir cuisiner. Donc quand les mangroves disparaissent, il y a plus d'eau de poisson. C'est des réalités qu’on a vues.

Depuis 2022, on fait des camps de vacance. Le club se rend dans des villages et reboise la mangrove ensemble avec la communauté. Et quand il y a des rizières dégradées, on les restaure. S’il y a des mangroves qui ont déjà disparus, on les remplace pour espérer récupérer les terres salées, mais également que les poissons reviennent. Donc, c'est tout un écosystème qui est là et qui a un impact social sur les populations. C’est ce projet qu’on est en train de développer dans la zone. Même si on n'a pas d'argent, les idées sont là.

Qu’en est-il du trafic de bois ?

Le trafic de bois entraine non seulement la disparition des mangroves mais aussi que les filaos. C'est pourquoi, après les activités de reboisement, on organise des séances de causerie, d'animation et de sensibilisation des communautés locales pour leur faire comprendre que la coupe abusive de la mangrove ou des filaos est à l’origine de la salinité des sols, le manque de poissons et l’érosion côtière.  Par conséquent, si elles n’arrêtent pas de couper les mangroves, les arbres ou certaines plantes autour de leurs villages, elles seront exposées à tous les risques qui peuvent découler de ces exercices. Malheureusement, l'homme est comme ça. Il oublie que tout ce qui l'entoure fait son bien. Et il s'autodétruit.

Notre rôle, dans ce sens, c’est de sensibiliser. Et d'ailleurs, nous sommes en collaboration avec les services des Eaux-et-forêts. Il y a cette synergie d'actions qu’on développe dans ce sens pour sensibiliser les communautés.  On a une attention particulière par rapport à la coupe des bois. Parce qu’en Casamance, il faut le dire, c'est un phénomène très grave. Et souvent, quand je vais à des rencontres, je le mentionne. Je dis que la Casamance n'est plus verte. La Casamance est jaune, elle est sans tête. Si les gens ne font pas attention, on va franchir l'étape jaune pour aller à l'étape rouge.

Quelles sont vraiment les difficultés que vous rencontrez dans cette lutte ?

La première difficulté est d’ordre institutionnel. J'ai l'impression qu'il n'y a pas de coordination entre les institutions qui ont la charge de la protection de l'environnement, les services de l'État et les collectivités territoriales. On sent qu'il y a un vide, qu’il n'y a pas de coordination entre la mairie ou le département et les services forestiers ou étatiques. Il n'y a pas de coordination entre, même le préfet ou le sous-préfet et les services forestiers.

Il faudrait que l'État du Sénégal puisse trouver un point de coordination entre tous ses services forestiers et techniques pour qu’au moins il y ait une gestion concertée et efficace. Mais également, il faut que l'État et les collectivités territoriales puissent s'appuyer sur les communautés. Parce que c’est elles qui sont dans la forêt ou dans les villages où se trouvent les arbres. Si l’on n'implique pas les communautés dans la gestion des forêts, quelle que soit la mesure qu'on va prendre, elle ne va pas prospérer.

L'autre problème auquel on fait face, c'est le manque d'information des communautés par rapport à l'importance de l'environnement ou des ressources naturelles. Il faut également initier les gens aux techniques et méthodes de coupe. Leur montrer les espèces qu’il faut couper et comment les couper. Parce qu’ils dépendent aussi de ces forêts mais il ne faut pas tout abattre.

Par ailleurs, le manque de  moyens logistiques et financiers limitent l’intervention du club. Notre organisation est composée d’étudiants. Globalement, ce sont des jeunes engagés, ambitieux qui n'ont malheureusement pas les moyens. On n'a pas de véhicules, pas de motos, des pelles, de piques, des cordes. C’est des choses que le club devait avoir pour faire facilement le travail. Et des fois, les plantes que nous reboisons, il faut les acheter. Même si on avait un véhicule, il faudrait du gasoil. Des fois, on investit un camp de vacances pendant une semaine ou 10 jours avant d’enchainer dans un autre camp. Pendant un mois, les jeunes sont disponibles. Mais ces jeunes engagés, il faut qu’ils boivent et mangent à leur faim. L’homme a besoin de se nourrir. On a besoin de ce peu d’accompagnement en nourriture et en logistique.

En tant qu’acteur de l'environnement, qu'attendez-vous des politiques, surtout des candidats à la présidentielle ou du prochain ?

C'est dommage parce qu'il n'y a pas d’attente, malheureusement.

Pourquoi ?

J'ai récemment vu la nouvelle loi sur le code de l'environnement. Je l'ai lu et apprécié. Mais avant cette loi-là, il y a aussi la grande muraille verte ou la reforestation qui est constituée de fonds financés par tout le monde. En tant qu’organisation de défense de l’environnement, on devrait bénéficier de ces fonds. La Grande muraille verte est un programme vraiment spécial. Si ce programme n’arrive pas à répondre à nos attentes, c’est dommage.  Le Sénégal a des programmes environnementaux intéressants mais malheureusement, nous acteurs environnementalistes, on ne se sent pas impliqués. Le Sénégal est l’un des pays qui n’amènent de jeunes à la COP. Les autorités prennent des personnes qui ne sont même pas des acteurs du monde de l’environnement. Des jeunes dames, des jeunes hommes, parfois même des influenceurs qui n’ont rien fait pour l’environnement, qui ne peuvent rien dire sur l’environnement. Et bizarrement, ces derniers ont toutes les accréditations. À côté, des gens comme nous, n’ont jamais d’accréditation. Parfois, les autorités ont peur d’amener les vrais acteurs là-bas, et que ces derniers signalent certaines défaillances.

Les élections sont là. Sûrement, cela va nous poser des difficultés parce que parfois, les gens ne sont pas disponibles ou il y a des manifestations qui limitent le déplacement des gens pour aller travailler. Pour nous, les élections nous causent plus de problèmes qu'elles n’apportent de solutions.

Donc, on n’attend pas grand-chose des élections. Juste, je rêve de voir un jour un ministère de la jeunesse et de l'écologie au Sénégal, qui est différent du ministère de l'Environnement. Un ministère qui doit uniquement être là pour les initiatives de jeunesse. Peut-être, on pourrait faire quelque chose avec ce ministère qui va être aux côtés des jeunes qui sont en train de faire des initiatives non seulement pour protéger l'environnement, mais également pour le développement local. Autrement, je ne pense pas qu'un nouveau président puisse changer quelque chose. Je ne crois pas. Et je le dis en tant qu'acteur de l'Environnement, mais aussi en tant que chercheur. Je suis en train de faire une thèse de doctorat. J'ai lu beaucoup d'ouvrages au niveau de l’Afrique subsaharienne, mais c'est la réalité. Et pire encore, c'est des ministères ou des directions qui se font de l'argent à travers l'environnement. C'est devenu un business et c'est dommage. Au même moment où des jeunes comme nous font tout restaurer l’environnement. Rien qu’en 2023, à Diembéring uniquement, on a reboisé 10 000 espèces. Personne n’a perçu aucun franc. On se débrouille de gauche-droite alors qu’on a 150 jeunes à notre disposition.  Nous allons 4 ou 5 jours dans une forêt, dans un village pour reboiser des plantes. On pouvait, à l’instar de beaucoup de jeunes, être dans des cabinets avec costume et cravate. Mais on a préféré aller dans la forêt et faire vivre notre passion.

Donc, c'est cela qui explique notre engagement sans faille. Les menaces externes ou internes auxquelles nous sommes exposés, ne peuvent pas nous empêcher de dérouler.

 

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Je suis diplômé en journalisme et communication au CESTI. Passionné d'environnement, de sport notamment le football et de tout ce qui a trait avec la géopolitique, je travaille, depuis novembre 2022, au journal Le Quotidien.

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