Le tatouage de la bouche ou « diamou », un standard de beauté
Les standards de beauté varient d’un bout du monde à l’autre. Vous avez surement déjà entendu parler des « femmes girafes ». En Birmanie, les femmes de la communauté Paudang se distinguent par leur long coup garni d’un collier en spirale. En Inde il est considéré comme extrêmement belles, les femmes au teint clair. La beauté de la femme Occidentale se distingue par une silhouette fine et élancée tandis qu’en Afrique, les corps aux courbes voluptueuses sont mis en avant. Chez les pulaars, le tatouage de la gencive est atout considérable pour les jeunes filles en âge de se marier. Avec ses aspects esthétiques et curatifs, le Diamou continue de rester le symbole distinctif de l’éthnie peul, malgré le temps qui menace cette pratique.
Il est 14H lorsqu’Aby finit de préparer et de servir le repas dans la maison familiale. Son anniversaire est dans quelques jours mais pour l’instant, le cœur n’est pas aux festivités. Elle aura bientôt 30 ans, et toujours pas de maris en vue. Dans cette communauté des « haalpulaar » ou en moyenne les jeunes filles se marient à 16 ans, Aby semble dépasser depuis fort longtemps, le statut de « vieille fille ». Une situation qui ne cesse d’empoisonner son quotidien puisque, dans ce village, on ne rate pas l’occasion de le lui rappeler.
Bien décidée à se marier avant ses 30 ans, Aby tente le tout pour le tout. A première vue, rien ne semble distinguer Aby des autres femmes du village. Cheveux longs et en très bonne santé, une taille élancée, une fine silhouette et un teint clair digne des peuls du Nord du pays, Aby a tout pour plaire. Mais ce qu’elle semble oublier, c’est que parmi ces standards de beauté, il y en a une qu’elle a négligé et qui semble lui coûter très chère : C’est le « Diamou », le tatouage des gencives. Une pratique présente chez cette communauté depuis le 19ème siècle et qui consiste à tatouer sa gencive supérieure en noire afin de faire ressortir la blancheur de ses dents et, par conséquent, attirer les prétendants avec un sourire des plus radieux.
Ayant vécu à Dakar depuis son adolescence, le retour au village est difficile pour Aby qui a tant redouté ce moment douloureux.
Cette après-midi, après le repas, elle a rendez-vous avec une tatoueuse aux mains d’or, réputée être la meilleure dans son domaine.
Dans le village voisin à Hamady Hounaré, Néné prépare son matériel en attendant l’arrivé d’Aby. Elle s’est installée sous le grand arbre de la cour, assise sur une grande natte étalée sur le sable encore très chaud du Fouta. Agée d’environ 70 ans, elle fait partie des rares femmes à encore maîtriser cette pratique qui se transmet de génération en génération. A l’aide d’un fil doublé pour plus de solidité, elle forme un fagot d’une dizaine d’aiguilles solidement nouées. Un pot de conserve pour sauce tomate est recyclée et utilisé comme contenant. Il est rempli d’eau jusqu’à ras bord. S’ensuit alors la préparation de la pâte noire, produit phare du tatouage. Cette pâte toute noire et onctueuse est obtenue grâce au mélange de beurre de karité, de suie de marmite et du « fimpe » (langue pulaar) que l’on peut traduire par de l’arachide grillée jusqu’à carbonisation.
Aby arrive accompagnée de sa mère. Bien qu’elle soit déjà passée par cette épreuve, elle l’attendra dans le salon car ne pouvant pas supporter de voir sa fille souffrir.
Allongée sur les genoux de Néné, celle-ci récite quelques prières sur les aiguilles avant de commencer à piquer. Le tatouage se fera sur la gencive supérieure, la gencive maxillaire, plus épaisse et plus visible lorsqu’on sourit. Bien que le tatouage sur la gencive soit plus commun, chez les peuls, l’éthnie dont fait partie Aby, le tatouage peut se faire sur tout le pourtour de la bouche : la gencive, les lèvres et le menton.
La séance dure entre 1H et 2H de temps. Néné commence par enduire la gencive de la pâte noire avant de commencer à donner des coups répétitifs. Dès les premières piqures, la gencive commence déjà à saigner. Néné s’interrompra à plusieurs reprises pour qu’Aby crache le sang dans un pot vide ramené pour l’occasion. Ces coups et ces va et vient se répéteront jusqu’à ce que la gencive se vide complètement de son sang. Une opération sans anesthésie ni aucun calmant que ce soit.
En dehors de l’aspect esthétique, le tatouage gingival est réputé être efficace pour lutter contre la mauvaise haleine, les infections buccales tout en blanchissant et fortifiant les dents. Dans une enquête publiée en 2006 et rapporté par le jour Le Quotidien, on peut noter que « L’enquête réalisée sur 67 femmes dont une population témoin de 30 non tatouées d’indiquer au sujet de l’inflammation gingivale : «51,9% des gencives tatouées sont indemnes d’inflammation cliniquement décelable contre 40% des gencives de femmes témoins. Dans ce groupe, 68% présentent une inflammation de légère à modérée de la gencive contre 29,6% pour le groupe de femmes ayant une gencive tatouée ». « Globalement, pour les autres paramètres, la gencive tatouée ne montre pas de différence significative avec une gencive naturellement pigmentée ou rose ».
Pour supporter la douleur et tenir jusqu’à la fin, Aby se couvre les yeux principalement pour éviter la vision de son sang.
A l’époque, le tatouage était gratuit et les femmes venaient juste avec leur matériel, aujourd’hui, Néné en a carrément fait son « métier » et encaisse 600F par séance.
Après avoir payé, Aby ressortira de chez Néné la bouche et le visage complètement enflés. Une souffrance qui durera 2 semaines environ.
Bien que cette pratique connaisse un grand recul sur le plan symbolique, certaines femmes continuent de croire en ses bienfaits.
A Dakar, il est désormais possible de se faire tatouer la gencive dans un cabinet dentaire quelque peu… atypique. En effet, dans un bureau installé au fond du couloir, Gnyma continue de perdurer la tradition familiale. Avec une touche de modernité. Ici, la praticienne est munie de sa blouse blanche, les mains gantées. Sur la table, des aiguilles stérilisées et des compresses sont éparpillées un peu partout. Mais ce qui attire les adeptes de cette pratique c’est la possibilité de se faire anesthésier pour une séance indolore pour 5000F. Sachant qu’elle n’exerce que 3 fois par semaine pour environ 4 clientes par jour, Gnyma peut gagner jusqu’à 240.000F à la fin du mois.
Bien qu’elle craigne que cette pratique disparaisse dans les années à venir, elle se réjouit tout de même de cette réadaptation plus hygiénique. Une modernisation qui permettra peut-être, à la tradition, de perdurer.