Au marché Sandaga, le désordre impose sa loi
Au marché Sandaga, l’espace public est en désordre. Les piétons sont obligés de quitter les trottoirs pour descendre sur la chaussée par le fait qu’une kyrielle de vendeurs occupent tous les compartiments de la voie publique. A quelques jours de la célébration de la Tabaski, le phénomène s’est accentué et l’obstruction est totale.
Sur le trottoir, l’étal de Moustapha Gueye occupe une grande partie de l’espace. Les piétons sont obligés de marcher sur la chaussée, se faufilant entre mototaxis et véhicules. Cette situation est devenue presque normale au marché Sandaga de Dakar, surtout en cette période où la Tabaski profile à l’horizon.
Dans cet alignement situé sur l’avenue El Malick Sy, nombre de vendeurs ne disposant pas de cantines, mettent leurs produits partout sur la place publique. Les uns posent leurs articles sur des tables tandis que d’autres placent leurs objets à même le sol. Toutes les allées de l’avenue sont prises d’assaut. Se frayer un chemin est un véritable casse-tête.
Selon Moustapha Gueye, le marché Sandaga avec son espace réduit ne peut pas contenir tous les vendeurs. Et à Dakar, ajoute-t-il, beaucoup de gens ont jeté leur dévolu sur ce marché, ce qui provoque quelque part ce grand désordre. Vendeur de livre auparavant, il a changé d'activité. Maintenant, du fait de l’approche de la Tabaski, il est dans la vente des couteaux. A l’en croire, ce business est très rentable.
« Pour ne rien cacher, je me frotte bien les mains », souligne-t-il, le sourire aux lèvres. D’après lui, la plupart des vendeurs sont des pères de familles avec des charges à gérer. S’ils s’installent sur les trottoirs, c’est parce qu’ils n’ont pas de solutions. « Les places sont chères à Sandaga, il faut débourser 10 millions de francs voire plus pour en disposer. Nous ne voulons pas nous installer sur les trottoirs mais nous n’avons pas d’autres solutions. La meilleure solution pour décanter cette situation, est de construire des marchés modernes hors des zones de grandes agglomérations pour créer une nouvelle attraction économique ailleurs », propose le quarantenaire, les yeux masqués par ses lunettes noires qui le protègent des rayons du soleil.
Le désordre règne en maitre sur les lieux. Cette situation est aggravée par la fête de la Tabaski qui s'annonce. Des stands de vente de divers objets sont éparpillés le long du trottoir. Passants, vendeurs et Jakartamen se disputent l’espace créant une obstruction totale. En plus des vrombissements des voitures et les klaxons des motos qui résonnent en boucle, le décor du marché de Sandaga est aussi coloré par la fumée qui s’échappe des pots d’échappement des véhicules.
Dans cette partie au cœur de la ville de Dakar, la circulation est moins fluide. De la Poste de la Médina au marché Sandaga, les bouchons ralentissent la circulation. Un bruit assourdissant emplit les lieux. Devant les places chics où toutes les variétés d’articles flambant neufs sont exposées, l’occupation anarchique est totale dans ces ruelles de Dakar Plateau. Le désordre s’impose partout et d’aucuns n’ont même pas la liberté de vaquer librement à leurs occupations.
Aux endroits où les cantines se succèdent les unes après les autres, les propriétaires qui se trouvent au rez-de-chaussée peinent à avoir de la visibilité. Pour cause, les points de vente sur le passage des piétons empêchent de voir les accessoires d’autres vendeurs qui veillent au grain, campés à l’intérieur de leur boutique.
Casse-tête
Samba Diop est venu au marché Sandaga pour faire ses courses parce que, souligne-t-il, la Tabaski approche à grand pas et qu’il ne veut pas attendre au dernier moment. En aucun cas, le jeune homme ne digère cette configuration confuse au marché de Sandaga. « C’est même devenu étouffant », se désole-t-il le visage en sueur. « Ce qui se passe ici est anormal. On ne peut pas circuler librement et le pire, c’est qu’à tout moment on peut voler tes affaires. C’est un problème sérieux et il faut que les autorités prennent des mesures idoines afin de trouver d’autres emplacements puisque tous les vendeurs ne peuvent pas s’établir à Sandaga » lâche-t-il d’un ton amer.
Quant à Ndeye Sokhna Mbodj qui habite aux Parcelles assainies, elle trouve anormale cette occupation anarchique de la place publique. Mais elle milite pour que le minimum de compréhension soit accordé à ces gens qui cherchent quoi mettre sous la dent. « Ce sont des pères de familles, des travailleurs dignes. Si les autorités étatiques ne leur trouvent pas là où s’installer, elles doivent les laisser tranquillement » suggère-t-elle.
En cette mi-journée, la température est suffocante. Dans cet espace qui grouille de monde et avec la canicule, l’endroit devient invivable. La sueur maquille les visages des uns et des autres, surtout ceux qui enchainent les va-et-vient dans les coins et recoins du marché. Dans ce lot, les marchands ambulants occupent les devants de la scène.
Nombreux à Sandaga, ils rôdent tout en guettant un potentiel acheteur. Des déchets plastiques et tant d’autres détritus, jetés par terre, inondent l’espace tout en cohabitant avec ce grand monde venu de divers horizons de la capitale. L’activité économique bat son plein et l’ambiance est rythmée par les sonorités musicales perceptibles de partout.
Khadim Mbow, quant à lui, augmente à fond le volume de sa sono qui passe une chanson de Wally Seck, en guise d’accueil chaleureux à ses clients. Devant sa cantine où les accessoires en grande parties des chaussures locales « Daalu Ngaay » sont exposées, le jeune vendeur n’est pas du tout gêné par ses camarades qui stationnent devant le portail de son atelier. En pleine besogne et s’attelant à bien arranger ses produits, l’homme au teint noir et à la stature longiligne, est plutôt compréhensif.
« Nous sommes tous venus ici pour gagner notre vie. Moi, j’ai ma place et je ne crée pas de désordre. Il faut qu’on comprenne ceux qui sont dehors bravant la chaleur et qui cherchent du pognon dans des conditions difficiles. Ce n’est pas de leur propre gré qu’ils s’installent sur les trottoirs, ils n’ont pas de solutions et pour qu’ils puissent travailler, ils sont obligés d’occuper ces petits espaces. Ils ne peuvent pas tous avoir des places » soutient-il.
Djibril Dramé abonde dans le même sens que Khadim. Toutefois, il incite les occupants des lieux à respecter le cadre de vie et à ne pas commettre des actes qui peuvent nuire à la quiétude générale. « Je ne suis pas d’accord qu’on jette le discrédit sur les occupants de ces lieux. La plupart d’entre eux sont des fils du pays et doivent gagner leur vie en travaillant », estime le jeune homme.
D’après lui, ces gens qui s’activent dans les marchés doivent aussi faire preuve de maturité en travaillant dans la discipline et l’ordre. Dans sa logique de mettre en garde les vendeurs qui occupent les trottoirs, Djibril Dramé les appelle à éviter de chambouler l’ordre établi dans l’espace public qui, dit-il, appartient à tout le monde.