La Somiva déscolarise Kanel
La déperdition scolaire est un phénomène très fréquent dans la région de Matam. Entre 2021 et 2024, 15 000 élèves ont abandonné les études dans la région. Le village de Hamady Ounaré n’échappe pas à la règle. Situé dans le département de Kanel, Hamady Ounaré connaît un taux d'abandon scolaire avoisinant les 20 %. Cette déperdition semble être liée à l'exploitation minière de la Société des mines de la vallée (Somiva), installée à quelques mètres des établissements scolaires du village. Si certains élèves sèchent les cours en raison de problèmes de santé liés à la poussière générée par la société minière, d'autres, en revanche, principalement des garçons, choisissent d'arrêter l'école pour travailler dans la mine.
Il est 12h à Hamady Ounaré. Un vent poussiéreux balaie ce village situé à quelques kilomètres de la Somiva, qui exploite les terres riches en phosphate du village. Le lycée, le CEM et l'école élémentaire se trouvent à une centaine de mètres des dunes de la société. Cette exploitation minière semble entraîner des abandons dans les écoles, comme l'explique le principal du CEM de Hamady Ounaré : « Au début de l’année, nous comptions environ 728 élèves ; nous en avons maintenant 691. Ces chiffres montrent qu’un grand nombre d’élèves ont abandonné l’école. La déperdition scolaire est donc une réalité ici à Hamady Ounaré. En général, il s’agit d’élèves de 4e et de 3e. »
« Cette année, j’ai eu quatre abandons dans ma classe de Seconde S », témoigne M. Sarr, professeur d'Histoire-Géographie au lycée de Hamady Ounaré. « La principale cause de ces abandons est d'ordre médical », ajoute-t-il en tenant une craie et une éponge dans ses mains. Le principal du CEM appuie les propos du professeur : « Les camions de sable de la Somiva font la navette tout autour de l’école. C’est pourquoi nous avons constaté que beaucoup de nos élèves souffrent de rhumes. Nous avons aussi observé une récurrence de problèmes de vision chez certains élèves. »
Dans la cour du lycée, des élèves discutent sous un soleil de plomb. Coumba Dia, une élève en classe de terminale, revient sur sa situation sanitaire qu’elle attribue à l’exploitation minière : « Étant asthmatique, je souffre de la poussière que dégage la Somiva. Je m’absente parfois à cause de ma maladie. Beaucoup d’élèves s’évanouissent dans la cour de l’école à cause de la pollution. Certains d’entre eux ont des problèmes respiratoires. »
Toujours à Hamady Ounaré, une mère, rencontrée dans sa concession, se lamente sur le sort de sa fille qui souffre de problèmes de santé depuis son lycée : « Un jour, un vent mélangé de poussière a envahi le ciel. Ma fille toussait jusqu’à vomir. Après plusieurs questions, elle m’a confié qu’elle avait inhalé beaucoup de poussière », explique désespérément la vieille Coumba Dème, impuissante devant sa fille souffrante.
Infection respiratoire aiguë
Khardiata Dème, la jeune fille au visage marqué par des boutons et à l'apparence fatiguée, accepte de se confier sous un voile couvrant seulement ses cheveux : « Je suis très studieuse. La seule fois où j’ai repris les cours, c’était en classe de 4e. J’ai redoublé une fois à cause de ma maladie. Orpheline de père depuis 2015, je souffre d’une infection pulmonaire, selon les médecins. J’ai mal à la gorge, surtout la nuit. J’ai des problèmes respiratoires et le nez constamment bouché. » Depuis lors, elle est confinée à la maison, sans aucune envie de profiter de sa jeunesse.
Pour élucider les symptômes dont souffrent les élèves du village, nous avons interrogé le médecin-chef du Poste de Santé de Hamady Ounaré, Dr Faye. Il indique que 80 % des cas sont des asthmes dus à la poussière dégagée par la Somiva : « Nous recevons beaucoup d’enfants de moins de 5 ans en consultation. Ils souffrent souvent de maladies respiratoires aiguës appelées IRA (infection respiratoire aiguë). Les crises d’asthme sont très fréquentes dans la zone. En ce qui concerne les boutons sur le visage de Khardiata Dème, ces symptômes sont des maladies dermatologiques. Nous ne pouvons pas les lier directement à l’exploitation minière sans examens médicaux confirmant cette relation. »
Si certains élèves ont réussi à surmonter cette épreuve avec des séquelles médicales persistantes, d'autres ont dû abandonner l'école. Ibrahima Sy est un exemple parmi tant d'autres. En classe de 3e, il a réussi à obtenir le Brevet de fin d’études moyens (Bfem) l'année dernière, mais il n'a pas la moyenne requise pour passer en classe supérieure. Il envisage de quitter l'école car ses parents ne peuvent plus assumer les frais de scolarité.
« Je suis un peu découragé car je vis seul avec ma grand-mère, qui n’a pas les moyens de subvenir à mes besoins scolaires. » Après le divorce de ses parents, le jeune homme de 20 ans travaille chaque week-end sur des chantiers pour survivre : « Je travaille comme main-d'œuvre pour acheter à manger et à boire. Même pendant les vacances, je travaille dans la maçonnerie pour pouvoir acheter des fournitures. »
Son seul objectif est désormais d’être recruté comme journalier à la Somiva : « Je veux travailler là-bas. J’ai rencontré beaucoup de personnes qui pourraient m’aider à trouver un emploi dans la société. Tous mes amis y travaillent comme journaliers. »
Pour lutter contre la déperdition scolaire dans la région, l’inspection d’académie (IA) a mis en place un système de classes passerelles. Ce dispositif permet la réintégration des élèves ayant abandonné l’école : « L’État déploie des efforts importants pour la réussite des classes passerelles. Cette méthode nous a permis de récupérer de nombreux élèves ayant abandonné. Ils sont formés pendant une année entière avant d’être réintégrés dans le système éducatif », révèle Abdoul Aziz Alpha Ba, secrétaire général de l’IA de Matam.
Parallèlement, le centre académique de l'orientation scolaire et professionnelle (Caosp) organise des journées de sensibilisation dans les écoles afin de diminuer ce phénomène. Malgré un taux élevé de déperdition scolaire, l’académie de Matam est classée 2e au niveau national au baccalauréat avec un pourcentage de 56,56 %.