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Les chiffres d'une ONG internationale sur les menstrues et la séparation des toilettes dans les écoles au Sénégal sont examinés

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L’ONG internationale “Un enfant par la main”, une organisation à but non lucratif établie en France, a émis plusieurs statistiques dans un article qui présente un projet d’appui à l’hygiène menstruelle en milieu scolaire. Ainsi, l’ONG déclare qu’au Sénégal :

  1. “seulement 21% des filles pratiquent les mesures d’hygiène recommandées lors des règles”;
  2. “40% des filles expérimentent un sentiment de peur pendant leurs menstruations et
  3. 55,8% éprouvent de la honte”;
  4. “45,12% des écolières sont absentes pendant leurs règles”;
  5. “83,56% des filles soulignent un manque de préparation pour accueillir avec sérénité leurs premières menstrues”;
  6. “seulement 1% des écoles ont des toilettes séparées pour les filles et les garçons”.

Nous avons également retrouvé ces chiffres dans un document de présentation du projet cité plus haut et dans le rapport final. Ces documents sont également publiés sur leur site web.

Le projet en question s’intitule « Sénégal : appui à l’hygiène menstruelle en milieu scolaire ». Il avait pour but de renforcer la santé sexuelle et reproductive et faciliter l’hygiène menstruelle de 2698 filles dans deux collèges de la région de Thies plus exactement à Mboro et à Tivaoune.

Après vérification, les cinq premières affirmations sont trompeuses et la dernière est incorrecte. 

D’où proviennent ces statistiques de l’ONG  « Un enfant par la main » ?

Nous avons contacté la chargée de projets de l’organisation, Chloé Baury par courrier électronique, pour connaître l’origine de ces statistiques. Selon elle , « Un enfant par la main » a appuyé son partenaire au Sénégal, ChildFund Sénégal, dans la mise en œuvre du projet et les chiffres ont été présentés dans leur « concept note » (note conceptuelle), un document fournissant des informations de base sur un projet ou un programme.

 Voici les sources citées par  Madame Baury :

-     le pourcentage de 21% des filles qui pratiqueraient les mesures d’hygiène recommandées lors des règles provient de l’évaluation du projet GHM1 de ChildFund Sénégal en 2021 ;

 

-    le  pourcentage  de 40% des filles qui expérimenteraient un sentiment de peur pendant leurs menstruations et le pourcentage de 55,8% des filles qui éprouvent de la honte ont pour source un rapport de Study Speak Up Africa, GHM  qui date de juillet 2017 ;

-        le pourcentage de 45,12% des écolières qui seraient absentes pendant leurs règles et le pourcentage de 83,56% des filles qui souligneraient un manque de préparation pour accueillir avec sérénité leurs premières menstrues ont pour source l’Inspection Académique de Thiès en 2018.

Cependant, Madame Baury n'a pas pu fournir la source de l’affirmation selon laquelle seulement  1% des écoles ont des toilettes séparées pour les filles et les garçons, malgré nos relances.

Madame Baury nous a aussi suggéré de contacter ChildFund Sénégal « qui travaille sur le terrain et maîtrise parfaitement ces thématiques », pour obtenir plus d’informations sur les sources de ces statistiques.

Nous avons ensuite échangé avec Monsieur Ibrahima Ngom, chargé de la communication de ChildFund Sénégal, pour obtenir plus d’éclaircissements. Il nous a promis de revenir avec des réponses, mais à ce jour, nous n'avons pas obtenu de réaction de sa part malgré nos relances.

Cet article sera mis à jour dès que nous aurons plus d'informations et de précisions de la part de nos interlocuteurs.

Des statistiques  basées  sur des études qui concernent une infime partie du Sénégal

Affirmation 1: « Seulement 21% des filles pratiquent les mesures d’hygiène recommandées lors des règles »

Pour vérifier la source de cette information, nous avons essayé d’entrer en contact avec Childfund Sénégal sans succès. Nous avons trouvé en ligne le rapport annuel de l’organisation qui date de 2021. Dans la partie intitulée « Projet d’appui à la gestion de l’hygiène menstruelle dans les écoles », il est mentionné que « l’application des mesures recommandées de gestion de l’hygiène menstruelle pendant la période menstruelle est relativement faible avec 21% des filles ayant pratiqué au moins 5 des 7 mesures d’hygiène recommandées lors de leurs dernières règles ».

Toutefois, il n’est pas précisé dans ce rapport, les 7 mesures d’hygiène recommandées lors des règles, ni qui les a établies et sur quelles bases.

Il est également  mentionné dans ce rapport que l’étude qui a conduit à ces résultats n’ a été réalisée que dans 3 départements de la région de Thiès, dans 4 écoles élémentaires, 4 collèges et 4 lycées.

Ces chiffres de ChildFund Sénégal concernent quelques écoles de la région de Thiès et non tout le Sénégal. 

Affirmation 2 et 3 :  « 40% des filles expérimentent un sentiment de peur pendant leurs menstruations et 55,8% éprouvent de la honte » 

Selon l’ONG “Un enfant par la main”, ces statistiques proviennent du rapport Study Speak Up Africa, GHM juillet 2017. Speak up Africa est une organisation internationale basée à Dakar. Elle se définit comme « un groupe d’action politique et de plaidoyer » qui travaille sur plusieurs thématiques comme la santé et l’égalité des genres, relève-t-on sur leur site web où nous avons retrouvé le document cité comme source par l’ONG “Un enfant par la main”. 

Il s’intitule «Connaissances, attitudes et pratiques sur la gestion de l'hygiène menstruelle dans les zones périurbaines de la région de Dakar: Cas des départements de Pikine et Guédiawaye Juillet 2017. » L’étude en question concerne deux départements de Dakar, la capitale du Sénégal comme souligné dans l’intitulé.

Ces deux zones représentent, selon le document , « 50,7% de la population dakaroise ». Les auteurs de cette étude indiquent avoir travaillé sur un « échantillon  tiré au hasard, parmi les filles et femmes âgées de 10 à 70 ans, et les garçons et hommes âgés de 15 à 74 ans ». « Au total 1670 personnes y ont participé soit 1339 jeunes filles et femmes et 331 garçons et hommes », peut-on lire dans le document.

À l’issue de cette étude, ils ont conclu que la majorité des jeunes filles et les femmes n’étaient pas bien préparées à accueillir avec sérénité leurs premières règles.  « Par conséquent, les sentiments de gêne (55,81%) et de peur (40,34%) ont été ressentis par les jeunes filles et femmes enquêtées lors de leur ménarche. »

Ces chiffres issus du rapport de Speak Up Africa ne concernent que deux départements du Sénégal et non le pays tout entier.

Affirmation 4 et 5: « 45,12% des écolières sont absentes pendant leurs règles ; 83,56% des filles soulignent un manque de préparation pour accueillir avec sérénité leurs premières menstrues »

L’ONG « Un enfant par la main » a indiqué que ces données statistiques proviennent de l’Inspection d’Académie de Thiès. Nous avons joint au téléphone M. Diouf, inspecteur académique de Thiès pour vérification. Selon lui, l’IA n’est pas une structure qui fournit des données statistiques nationales. Néanmoins, nous avons essayé de contacter les établissements qui ont accueilli le projet, les structures qui ont été en contact avec l’ONG sur le terrain, afin de retracer la provenance de cette information. Malheureusement nous n’avons pas pu entrer en contact avec ces entités.

Par la suite, nous avons cherché sur internet un rapport quelconque sur une étude qui concerne la gestion des menstrues au Sénégal et qui présente des chiffres similaires. Ainsi, nous avons retrouvé exactement les mêmes statistiques dans le rapport d’étude évoqué tantôt et publié par Speak Up Africa en juillet 2017.

Comme dans les affirmations précédentes, ce chiffre ne concerne pas tout le Sénégal.

Les études faites à Pikine et Guédiawaye par Speak Up Africa et celle faite à Thiès par ChildFund Sénégal ne peuvent pas être présentées comme étant une réalité au niveau national

Est-ce que l’organisation internationale “un enfant par la main” peut utiliser des données parcellaires comme statistiques au niveau national? C’est la question que nous avons posée au statisticien sénégalais Souleymane Sonko. M. Sonko est statisticien et informaticien de profession. Il occupe le poste de chargé de suivi évaluation et gestionnaire des données à l'ONG Éclosio.

Il estime que l’ONG “Un enfant par la main” a essayé de faire une extrapolation. L'extrapolation est le principe par lequel on estime que les résultats d'une enquête effectuée sur un échantillon peuvent être généralisés à la population étudiée dans son ensemble. Ainsi, l’extrapolation de données est acceptée dans certains cas, mais, elle est inacceptable si les données ne  prennent pas en compte le principe de la représentativité.

Les échantillons prélevés pour l’étude doivent être représentatifs par rapport à la population étudiée. Pour faire une extrapolation de données liées à la gestion des menstrues et à l’hygiène menstruelle au Sénégal, M. Sonko explique qu’il aurait fallu que l'échantillon prenne en compte d’abord les variations socio-démographiques. “Par exemple, il aurait été nécessaire de prélever des échantillons dans le Nord, l’Est, l'Ouest, le Sud et le Centre ainsi que les zones urbaines et rurales pour que les différentes parties du pays qui ont des réalités socio-démographiques différentes puissent être représentées”, résume-t-il.

Ainsi, le statisticien relève que les différentes régions du Sénégal ne sont pas au même niveau de développement économique. “Les différences de potentiel entre les différentes zones du pays pourraient influencer la gestion des menstrues et l’hygiène menstruelle”, explique-t-il.

Enfin, poursuit M. Sonko, l'échantillon doit tenir compte des réalités culturelles des différentes parties du pays car la manière de gérer les règles peuvent différer d’une localité à une autre, d’une ethnie à une autre. “Ce qui se fait dans le Nord, par exemple, peut ne pas être une réalité au Sud”, résume-t-il.

De ce fait, l’extrapolation faite par l’ONG “Un enfant par la main” est fausse dans la mesure où les études faites par Speak up Africa dans les départements de Pikine et de Guédiawaye et l’étude faite par ChildFund Sénégal dans 3 départements de la région de Thiès, dans 4 écoles élémentaires, 4 collèges et 4 lycées ne sont pas représentatives. Les statistiques ne peuvent pas être considérées comme reflétant la réalité à l’échelle nationale.

Par ailleurs, ces chiffres issus de ces études et utilisés comme données au niveau national par l'ONG “un enfant par la main” sont trompeurs.

Conclusion: les affirmations 1, 2, 3, 4 et 5 sont trompeuses.  

Pas encore de statistiques officielles nationales  sur la gestion des menstrues et  l’hygiène menstruelle au Sénégal

Nous avons contacté par courrier électronique l’Agence nationale de la statistique et de la démographie (ANSD) pour savoir s’il existe des études faites à l’échelle nationale qui concernent la gestion des règles ou/et l’hygiène menstruelle des filles au Sénégal. L’ANSD nous a partagé un  rapport et une matrice des principaux indicateurs.

Le rapport est celui de l’Enquête démographique et de santé continue 2018 publiée en mai 2020. Cependant, cette étude ne contient aucune rubrique consacrée à la gestion des règles au Sénégal ou à l’hygiène menstruelle.

La matrice des principaux indicateurs récapitule les principaux indicateurs produites par les structures membres du Système statistique national (SSN) du Sénégal. Cette rubrique du  portail des données de l’ANSD présente une liste d’études et de données. Parmi ces études, aucune n’est en rapport avec l’hygiène menstruelle ou la  gestion des menstrues au Sénégal.

Plusieurs études ont été faites sur le sujet par des organisations, mais aucune d’entre elles n’a été faite à l’échelle nationale. Nous avons en ce sens essayé d’entrer en contact avec le bureau de Dakar de l’Organisation des Nations-Unies pour les femmes  sans succès, pour avoir plus d’informations sur les études publiées  par l’organisation sur la gestion et l’hygiène menstruelle au Sénégal. Néanmoins, nous avons trouvé en ligne des rapports d’études faites par l’institution dans certaines parties du pays.

En 2017, ONU Femmes, qui œuvre pour l’égalité des sexes et s’engage dans plusieurs pays du monde à lutter contre la précarité menstruelle, a fait une étude  dans les régions de Kédougou, Kolda, Matam et Sédhiou.

Dans ce dit rapport, l’organisme précise dès l’introduction que les seules données disponibles au Sénégal sont celles qu'ont mené WSSCC (Water Supply & Sanitation Collaborative Council : conseil de concertation de l’eau et de l’assainissement en français) et ONU Femmes à Kédougou et à Louga et qui servent de référence en la matière.

L’étude faite à Kédougou, « Gestion de l’hygiène menstruelle : comportements et pratiques dans la région de Kédougou, Sénégal » a été publiée en 2015 et celle faite à Louga, la « Gestion de l’hygiène menstruelle : comportements et pratiques dans la région de Louga, Sénégal » a été publiée en 2014.

L’organisation a également mentionné dans les rapports sur la gestion de l’hygiène menstruelle à Kédougou  et à Louga que « peu de données qualitatives et quantitatives existent sur la gestion de l'hygiène menstruelle en Afrique et plus particulièrement au Sénégal ».

Qu’en est-il de la sixième et dernière affirmation?

L’ONG "un enfant par la main" a affirmé qu’au Sénégal, seulement 1% des écoles ont des toilettes séparées pour les filles et les garçons. Mais Madame Baury, chargée de projets de l’organisation ne nous a pas indiqué la source de cette information. 

Nous avons trouvé sur internet, une publication de l’ONG internationale World Vision qui présente une statistique  similaire dans l’introduction d’un projet de construction de toilettes pour des filles de Maka Yopp. World  Vision est une organisation humanitaire internationale dont la vision est “d’aider à créer un monde dans lequel chaque enfant a la possibilité de  vivre une vie pleine, de développer et de réaliser son potentiel”, peut-on lire sur leur site. World Vision s’active au Sénégal depuis 1984.

Nous avons interrogé par courrier électronique cette ONG sur la source de cette information. D’après World Vision cette affirmation provient “ d’un rapport sur un nouveau projet que nous (l’organisme) menons au Sénégal dans une école, pour lequel des collègues sur le terrain ont fait le constat”. Ce dit constat a été fait en visant la région impliquant donc plusieurs établissements d’après eux. L’école qui a accueilli le projet se nomme Hanéne dans la ville du même nom, dans la commune de Maka Yopp, dans le département de Koungheul, région de Kaffrine. 

Que disent les données de l’ANSD à ce sujet?

Nous avons interrogé l'ANSD sur les données disponibles sur la séparation des toilettes pour les filles et les garçons dans les écoles au Sénégal. Les études les plus récentes faites par l'agence datent des deux dernières années (2023 et 2022). Ces études sont faites suivant quatre niveaux : préscolaire, élémentaire, moyen général et secondaire général.  Ces écoles sont réparties en deux catégories : les établissements (d'une maniére générale) et les établissements du public. Selon les résultats de  l’année 2023, le pourcentage global (tous les niveaux) d’écoles et d’établissements disposant de latrines séparées est de 73,75%. 

 L’affirmation  de l'ONG "Un enfant par la main", avancée également par l’ONG World Vision est incorrecte. L’étude qui a permis à l’ONG de présenter ce chiffre est sectorielle et l’ANSD présente des statistiques différentes. 

Conclusion : incorrecte.

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Etudiante en journalisme au CESTI, je suis passionnée par la vérification des faits.

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