Quand les lavandières résistent à la concurrence des pressings modernes
Malgré le développement des pressings qui utilisent des machines à laver, les lavandières établies sur le Canal 4 de Fass, à Dakar, s'adaptent à la nouvelle donne. Toutefois, elles vivent avec la hantise d’être expulsées des lieux par la municipalité et font souvent les frais du comportement de clients indélicats.
Ce samedi, il est 12 heures passées sur le Canal 4 de Fass, non loin du quartier de Colobane. Le soleil est au zénith. Malgré la chaleur, une vingtaine de femmes, la plupart originaires du département de Thiès, s’activent, comme chaque jour, au lavage de linge. Difficile de ne pas être impressionné par ce spectacle inhabituel en plein Dakar, compte tenu de l’apparition des machines à laver.
Sur des cordes à linge sont disposés des habits sur une trentaine de mètres. Tout près du trottoir, des femmes sont accroupies devant des bassines remplies d'eau. Certaines d'entre elles portent leur enfant sur leur dos. « J'ai laissé toute ma famille au village. Grâce à ce travail, j’arrive à gagner de l’argent qui me sert à acheter des denrées de première nécessité que j’envoie là-bas », confie Rama Tine, le visage en sueur. Pour cette quadragénaire originaire d’un village de la commune de Ngoundiane, dans la région de Thiès, le métier de lavandière est devenu au fil des ans son gagne-pain.
À quelques pas de là, la dame Khady est assise sur un tabouret. Tout comme Rama, elle est originaire de Ngoundiane et gagne sa vie comme lavandière. Âgée de 35 ans, elle exerce ce métier depuis cinq ans. Selon elle, les pressings modernes ne menacent pas trop son travail. « Les machines à laver sont nombreuses, mais la plupart de mes clients disent qu’elles ne rendent pas leurs habits très propres. Le fait de les laver manuellement est plus rassurant pour eux, car, disent-ils, la machine peut mélanger des habits de diverses couleurs. »
Tarifs abordables
Il arrive parfois que des habitués des pressings modernes fassent repasser, après lavage, certains vêtements par ses soins. Mais « je remarque des taches au niveau du col des chemises », soutient-elle, tout en lavant à la main des habits, aidée de ses jumelles.
Bon nombre de personnes ont donc recours aux lavandières, en particulier de jeunes hommes qui y trouvent leur compte. C’est le cas d’Amour, un étudiant congolais, fidèle client, qui vient juste de remettre ses habits à Khady. De teint clair et de taille élancée, il est « satisfait du travail de la dame ». « On s’est familiarisés et ses jumelles sont comme des sœurs pour moi. Les prix qu’elle pratique sont très accessibles. Avec 2 000 francs CFA, elle lave une bonne partie de ma garde-robe », se réjouit-il.
À quelques pas de là, Rama Tine, une des doyennes des lieux, est assise sur un bidon vide. Une de ses collègues indique d’ailleurs qu’elle est la voix la plus autorisée pour parler du travail des lavandières, du fait de son expérience d’une dizaine d’années.
Selon Rama, les prix ne sont pas fixes. Ils obéissent au marchandage. « Les pantalons jeans sont lavés pour 200 francs CFA, les tee-shirts et chemises à 100 francs CFA l’unité, les costumes africains à 400 francs CFA », informe-t-elle. Ses clients sont principalement des étudiants et, ajoute-t-elle, « ici, nous prenons en compte le fait qu’ils ne disposent pas d’un budget conséquent, surtout qu’ils viennent pour la plupart des régions et ne vivent pas avec leurs familles. » Rama, qui retourne à chaque hivernage au village pour les travaux champêtres, ne se plaint pas puisque son travail de lingère lui permet de payer sa chambre, louée à 40 000 francs CFA à Fass.
La peur d’être expulsées par la mairie
La dame, qui reconnaît la sociabilité de ses voisins, s'inquiète toutefois de la menace d’expulsion de leur lieu de travail par la municipalité. Pourtant, assure-t-elle, « nous nettoyons les lieux chaque jour à la descente. »
Des lavandières, on n’en trouve pas que le long du Canal 4. Dans une rue de Fass, une femme d’une trentaine d'années lave des jeans bleus trempés dans une bassine savonneuse avec une brosse à linge. Elle achète les bassines d’eau à 50 francs CFA l’unité. Elle subvient à ses besoins ainsi qu’à ceux de ses parents grâce à ce métier.
« Les machines n’impactent pas trop mon travail », dit-elle. Seul bémol, « parfois les boubous peuvent être détruits par l'eau de javel, d’autres fois des vêtements étalés sur les cordes sous le soleil, pour leur séchage, sont dérobés par des voleurs. Et là, certains clients nous font rembourser, tandis que d’autres font preuve de compréhension et passent l’éponge », ajoute cette femme qui requiert l’anonymat.
Elles se frottent les mains
Le travail de lavandière exige de grands efforts physiques et prend beaucoup de temps. « Le métier est épuisant », se plaint l’une des dames. « C’est pourquoi il nous est conseillé de prendre des aliments riches en fer. » Coura, étudiante dans un institut privé de Dakar et lavandière les week-ends, songe même à abandonner. « Ce travail est trop difficile », déplore-t-elle. « Rien que porter les bassines est pénible », soupire cette ancienne pensionnaire de l’Université de Dakar. Elle parvient toutefois à gagner 5 000 francs CFA par jour en sous-traitant le linge d’autres lavandières. Un gain qu’elle économise et qui lui permet de payer une partie de ses études.
Globalement, les lingères rencontrées disent se frotter les mains. « Des fois, je peux me retrouver avec plus de 10 000 francs CFA par jour », confie Khady, qui, grâce à l’argent qu’elle gagne, parvient à scolariser ses jumelles dans un collège de Dakar et à payer le loyer de sa chambre à 30 000 francs CFA le mois, à Fass.
Encore faut-il que les clients s’acquittent du paiement du service rendu. Fatou Faye, elle, est souvent confrontée à certains qui disparaissent sans lui payer son argent. Elle n’est pas la seule, révèle-t-elle. « Des fois, je finis de faire le linge mais les clients disparaissent ou promettent de revenir payer plus tard. Ce qu’ils ne font jamais », se désole cette trentenaire, qui vit en location à la Médina.