À Tattaguine, les enseignants entre travaux champêtres et cours de vacances
Si généralement les vacances scolaires sont synonymes de pause pour nombre d'enseignants, à Tattaguine, beaucoup parmi ceux-ci s'investissent dans les champs pour perpétuer la tradition et pour gagner de l’argent. D’autres, pour ne pas rester oisifs, investissent les cours de vacances pour aider les élèves à préparer la prochaine année scolaire.
Les vacances scolaires constituent un moment de répit pour les enseignants et personnels éducatifs après neuf mois de cours. Si cette période est meublée par des activités de détente ou récréatives dans certaines villes, pour les enseignants de Tattaguine, elle signifie souvent un retour aux champs. Avec la fin des cours, beaucoup d'enseignants se reconvertissent en agriculteurs. Pour d'autres, c'est le temps de rendre visite aux membres de leur famille en attendant l'arrivée des cours de vacances. Les houes, les hilares et les machines ont pris le relai des tableaux noirs et des craies. Cette nouvelle donne traduit l'enracinement des éducateurs dans le savoir-faire de leur communauté et leur polyvalence.
Trouvé dans son jardin d'à peine vingt-cinq mètres carrés, El Hadji Karaw Thiam, instituteur dans son village à Thiamène, ne songe pas au repos et aux loisirs. Il tient un tuyau d'arrosage entre ses mains au milieu de plants de tomates en cette soirée de jeudi 8 août sous un ciel nuageux. Âgé d'une quarantaine d'années, short gris et tee-shirt bleu, il profite des vacances pour cultiver le mil, l’arachide et d'autres cultures vivrières.
« Depuis mon retour dans mon village en tant qu'enseignant, je suis dans le jardinage. Tous les jours, après ma descente de l'école, je viens ici pour arroser mes cultures. J'ai aussi un poulailler et je vends des poulets de chair, ce qui me permet de me faire un peu d'argent. J'ai emblavé plus d'un hectare d'arachide, mais l'accès aux intrants est difficile », soutient M. Thiam, ancien instituteur à Cascas dans le Fouta.
Lamine Cissé, enseignant à l'école élémentaire de Thiamène depuis plus de quatre ans, consacre ses vacances à cultiver le mil, les arachides et le niébé. « L'agriculture que nous pratiquons reste une agriculture de subsistance. Il faut la développer pour qu'elle devienne plus rentable », insiste-t-il. Les agriculteurs font face à une baisse de la pluviométrie et à la pauvreté des sols, rendant l'agriculture de moins en moins rentable. Pour lui, il faut encourager l'utilisation des produits bio, des engrais naturels et des fertilisants.
Rentabilité faible
Dans les villages, l'agriculture est cruciale pour la plupart des habitants. El Hadji Omar Thiam, professeur d’histoire et géographie au lycée de Diawara est agriculteur durant ses vacances. Il se concentre sur les cultures de mil pour la consommation et d'arachide pour la vente. « Pour le moment, je me suis concentré sur les activités agricoles et je ne pense pas trop à la prochaine rentrée scolaire », dit-il.
La gestion du temps étant difficile, surtout pendant l'hivernage et la récolte, coïncidant avec la reprise scolaire. Il a donc recruté des travailleurs pour l'aider. « J'utilise des techniques telles que l'assolement et la jachère pour améliorer mes pratiques agricoles », explique-t-il. Cependant, la rentabilité est faible et le coût de l'engrais est excessif : « L'engrais n'est pas accessible aux paysans et le peu qui se trouve sur le marché se vend à des prix excessivement chers. Pour 25 sacs à 20 000 francs chacun, il faut décaisser 500 000 francs, une somme difficile à réunir», se désole M. Thiam pour qui l'essentiel de son foin est consommé par son bétail.
Assis dans son salon, son ordinateur posé sur ses jambes et la télévision calée sur France 24, Ousmane Dramé, censeur du lycée de Tattaguine depuis octobre 2020, n'a pas de temps à perdre puisqu'il est en pleine confection des emplois du temps de la prochaine rentrée. Il continue son travail pédagogique même si c’est la période des vacances.
« Je profite de cette période pour faire une évaluation de l'année écoulée mais aussi pour préparer les emplois du temps de l'année à venir. Il est difficile d'effectuer cette tâche puisque le lycée de Tattaguine est mixte avec le CEM et les effectifs sont pléthoriques. On a plus de 1500 élèves et il n’y a pas assez de salles de classe », explique M. Dramé, confronté aussi à la réduction des frais d'inscription et de la subvention du gouvernement.
Outre la programmation des emplois du temps, le censeur du lycée de Tattaguine assure aussi la permanence pour les transferts avant de prendre ses vacances pour rendre visite à sa famille établie à Kolda vers la mi-août. Pour assurer la permanence en l'absence du censeur, Mbaye Babacar Diouf, professeur de mathématiques et de physique-chimie au lycée de Tattaguine et habitant de ce village, donne un coup de main. M. Diouf, qui ne dispose pas de champ, a aussi choisi de rester dans le domaine éducatif en participant aux cours de vacances.
« Depuis mon arrivée au lycée, je participe aux cours de vacances organisés par les étudiants. En plus, j’assure la permanence pour la remise des bulletins et pour donner les informations sur les transferts, et j’aide les nouveaux bacheliers avec les inscriptions sur Campusen », confie-t-il. Cette année, il souhaite participer aux cours de remédiation pour les élèves en classe de quatrième, seconde S et première S. « Ces cours permettent aux exclus de reprendre la classe et aux redoublants de passer en classe supérieure, évidemment après des tests », renchérit-il.
En attendant l’ouverture des classes, les enseignants en milieu rural, particulièrement à Tattaguine, s'illustrent ainsi par leur capacité à jongler entre l'agriculture et les classes.