Dimanche à Argentin, le restaurant le plus fréquenté de l'Ucad
Le restaurant Argentin de l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar est le plus fréquenté du campus. Lors des week-ends, l’affluence est à la baisse. A l’heure du déjeuner, les étudiants viennent au compte-goutte, et prennent tout leur temps pour manger.
12 heures passées de 39 minutes. En cette fin de matinée de dimanche, le campus universitaire de Dakar est moins animé qu’à l’accoutumée. Aux alentours du restaurant Argentin, quelques groupuscules sont éparpillés ça et là, engagés dans des discussions, occasionnant quelques fois des chamailleries et des rires que l’on entendrait de la grande porte de l’université. Tout ce grabuge se déroule sur la route même, où il est rare de voir des voitures passer.
Une affluence en baisse
L’entrée du restaurant est libre aujourd’hui, ce qui n’est pas fréquent. Aïcha nous donne la raison de ce manque d’affluence. L’étudiante en médecine explique que ses semblables « désertent le restau les dimanches pour aller manger dans les gargotes. D’autres sont juste retenus par leur paresse ». Pourtant, des étudiants viennent se présenter avec des visages froissés par de longues heures de sommeil. La matinée a été grasse !
Le vendeur de citron à gauche de la porte reste debout à attendre les clients qui se font rares. Sous sa casquette noire, il reste figé sur le bord du trottoir, le couteau à la main droite. En le dépassant, on fait face à la porte d’entrée du bâti. Les étudiants arrivent le plus souvent en groupe de deux ou trois, discutant sur différents sujets. « Aujourd’hui c’est du mafé au menu n’est-ce pas ?», demande d’une voix nonchalante un jeune homme à son compagnon, qui répond par l’affirmative. Ils se dirigent ensemble vers la porte, où aucun vigile ne les attend aujourd’hui. Il n’y a que des contrôleurs de tickets ici, les agents de sécurité sont partis en week-end.
Mais toujours des problèmes entre étudiants et contrôleurs
En petits groupes, les pensionnaires de l’UCAD abordent les deux voies du portail. Ce sont les agents qui collectent les tickets, des femmes pour la plupart, qui s’adonnent à la vérification des cartes d’étudiants. Quelques couacs sont à noter. Les étudiants ne sont pas toujours coopérants pour subir l’épreuve d’identification. «Ma sœur je suis étudiant moi, ne me fatigue pas» râle Mohamed, qui dépasse la dame en lui lançant son ticket, s’empressant de rattraper ses amis.
Interrogé sur le pourquoi de son acte, il confie : « ils savent bien qu’aucune personne qui a le choix ne viendrait ici. C’est par contrainte qu’on mange ici, mais avec un peu de moyens on serait sorti chercher à manger dehors ». Il avance vers les piles de plats rangés sur une sorte de comptoir, où l’on sert le repas.
Le fil est un peu bloqué à ce niveau. Pour cause, le choix de son assiette. Les taches de restes sur certains de ces dernières poussent les étudiants à scruter de façon minutieuse celle qu’ils prennent. La fille derrière le groupe Mohamed prend tout son temps pour son choix. Après deux plats de soulevé, elle pousse un soupir et les pose sur le côté. C’est la troisième qu’elle va choisir, par contrainte visiblement, car le visage un peu refrogné. Elle tend enfin son plat à la serveuse, qui restait sur place à l’attendre avec sa cuillère, le regard fatigué. Elle lui met ses deux cuillères de Niankatang (plat à base riz cuit à l’eau) et l’étudiante avance pour prendre la sauce qui va avec.
Au choix, Mafé et Domada. Comme la plupart de ceux qui sont arrivés avant elle, elle pose son plat de Niankatang sur le rebord du bol de Mafé, comme pour dire c’est mon choix ! Deux louches et c’est plié.
Après être servis par les serveuses qui ne sont pas tout sourire, direction les bacs à fourchettes. Le même dilemme qu’avec les assiettes se pose ici. La vaisselle n’est pas bien faite et des restes d’aliments sont visibles sur les outils. Quelques bouts d’oignon ou juste de la sauce ornent les deux bacs posés sur une table non loin en face des serveuses. Si certains étudiants se dirigent directement vers les robinets pour rincer leur fourchette, d’autres utilisent juste un mouchoir pour l’essuyer.
On a le temps de savourer son plat
Le moment décisif arrive, mais il faut faire un choix d’une place où déguster son met. Mohamed et ses amis traversent deux salles pour rejoindre celle qui se rapproche le plus de la porte qui donne sur la mosquée. La salle est clairsemée. C’est dimanche. Aller chez des proches pour y passer le week-end ou préparer un repas dans sa chambre, deux raisons de déserter le restau. Les 4 jeunes hommes se posent tranquilles au fonds de la salle, avec deux autres étudiants trouvés à la même table. Autour, tout le monde prend son temps pour manger. Pas de cours dans l’après-midi, le restaurant ne reçoit pas beaucoup de monde. Il n’y a pas de raison de se presser.
Téléphone à la main gauche, fourchette à la main droite, on mange ici en défilant son écran. Facebook, Twitter, Tik Tok ou encore Instagram, la plupart scrolle leur écran à en plus finir. Certains sont même en train d’échanger par WhatsApp, par message écrit ou audio. Au fond et à droite de la salle, un jeune homme est en visioconférence sur son téléphone. Avec le sac cloué au dos, il montre son plat à son interlocuteur. Difficile d’entendre ce qu’il dit, mais il rit à gorge déployée, ne pouvant même pas avaler une gorgée.
Le bruit des plats qui cognent contre un bac en plastique pour débarrasser les restes se mélange avec le vacarme des vaisselles, qui résonne au loin en cuisine. Cela ne semble point déranger les consommateurs, qui sont habitués à l’environnement. 13 heures passées du quart et le restaurant commence à recevoir plus de monde. Les filles commencent à venir en masse. Un groupe de 6 d’entre elles, habillées léger et décontracté, entre dans la salle attirant le regard de presque tous les gens présents sur place. D’un pas lent, elles se dirigent vers le fond de la salle, sous des regards appuyés. Elles s’asseyent à la table d’à côté des camarades de Mohamed, qui ont fini de manger, mais restent à discuter sur la victoire du Réal Madrid le samedi.
Après 5 minutes à discuter et à jeter des regards furtifs aux dames d’à côté, ils se décident de débarrasser les lieux. L’un des jeunes apprenants se rapproche de Mohamed et lui souffle quelques mots à l’oreille. Ils rient tous les deux, en regardant en direction de l’une des filles du groupe. Ils se dirigent tous les quatre ensuite vers la porte de sortie, chacun avec son plat, où il ne reste que des taches de sauce. Ils les déposent sur le comptoir en fer où sont postés deux agents qui s’occupent de nettoyer les plats avec une grande brosse. En franchissant la porte de sortie, un des étudiants lance au reste du groupe « Booy nieuw leen niu duggaat waay. Suuruma de ». D’une façon synchronisée, ses deux amis éclatent de rire. « Boy boo suurul moom demal wut garabu saan » (ndlr Si tu n’es pas rassasié, va te déparasiter c’est mieux). Les quatre jeunes hommes continuent leur joyeuse discussion, en direction des cantines de la zone C pour acheter du thé. Ils ont toute une après-midi pour profiter, car les longs fils d’attentes recommencent le diner du dimanche même...