Baba Diop : « Non, le cinéma n’est pas mort au Sénégal»
Dans cet entretien, Baba Diop, journaliste et critique cinématographique, met l’accent sur la renaissance du cinéma au Sénégal et les défis qui attendent ce secteur. L’ancien président de la Fédération africaine de la critique cinématographique (Facc) considère que le cinéma n’est pas mort au Sénégal. Il suggère la mise en place d’une industrie cinématographique pour que le cinéma se nourrisse de lui-même.
Peut-on dire que le cinéma est mort au Sénégal ?
Jusque dans le début des années 1980 le cinéma était roi. Le Sénégal comptait 80 salles de cinéma. Rien ne concurrençait les cinémas à cette époque parce qu'il y avait des salles partout. A Dakar, rien qu’au Plateau, il y en avait une dizaine. C'est vrai qu'à un certain moment les salles ne fonctionnaient plus parce que la télévision avait pris le relais. Aussi, à cause des ajustements structurels on a tué les salles qui étaient détenues par l'Etat. Elles ont toutes été fermées et laissées à l'abandon. Certaines ont été reconverties en entreprises d'autres en restaurants. Ce n'est pas qu'au Sénégal. Dans presque tous les pays francophones, même jusqu'au Cameroun, c'était la même situation. Mais pendant ce temps il y a des réalisateurs qui continuaient à faire des films même si on ne les voyait pas ici. Donc le cinéma n'est pas mort.
Avez-vous constaté que ces salles de cinéma sont en train de renaître ?
Au Sénégal, le cinéma a connu sa vitalité dans les années 2000 avec l'arrivée du numérique. Avant, les outils cinématographiques étaient lourds. Il fallait plusieurs personnes autour pour filmer. Mais grâce au numérique, la machine allège beaucoup les tournages. Le matériel est devenu léger et accessible à tous et c’est pour cela que beaucoup de femmes ont commencé avec l’euphorie « Médias Centre » mais aussi beaucoup de jeunes ont créé des incubateurs comme Ciné Banlieue, Ciné UCAD, Up court métrage, Cinéma rek et tout ce qui a suivi. Maintenant c'est heureux qu'après cette longue période les salles de cinéma puissent renaitre.
Depuis les années 2000, il y a toute une flopée de jeunes cinéastes qui a pris le relais par rapport aux anciens. Maintenant ils font même des documentaires et ont commencé à faire des longs métrages avec Lopy qui est issu de Ciné banlieue. Il y a aussi le FOPICA (Fonds de promotion de l'industrie cinématographique et audiovisuelle) qui appuie la production en termes de financement. Le cinéma renaît au Sénégal sous l'impulsion d'une nouvelle génération avec une conception et une approche nouvelles. On a encore beaucoup de documentaires, il y a aussi les séries même si elles sont destinées à la télévision.
D'ailleurs beaucoup de jeunes s'intéressent maintenant à la réalisation et même plus encore. Auparavant les métiers techniques étaient abandonnés mais aujourd'hui on voit bien que beaucoup de jeunes s'intéressent à la lumière, aux aspects techniques. Ils vont même jusqu'à monter des maisons de production et c'est cela qui manquait. Petit à petit ce gap va être résorbé et c'est une bonne chose pour cette nouvelle génération.
Quels sont les défis majeurs du cinéma sénégalais ?
Le défi majeur c'est de créer une industrie cinématographique. Ce n'est pas parce qu'on a des réalisateurs en vue, non. Parce que les fondateurs de ce cinéma ont fait leurs parts et leurs films sont connus. Je veux nommer les Sembène Ousmane, Djibril Diop Mambety, Ababacar Samb, Momar Thiam. Ça c'était la première génération mais leurs travaux étaient centrés sur des individualités.
Aujourd'hui, ce que l'on réclame, c'est une véritable industrie cinématographique, un centre national du cinéma (CNC) pour que l'argent du cinéma retourne au cinéma. Si les salles renaissent, cela veut dire que, avec les entrées, l'argent du cinéma reviendra au cinéma. Ainsi, on n'aura pas seulement un fonds mais l'argent récolté par le CNC, même sur les films étrangers, alimente le cinéma. En France par exemple, certes il y a des financements, mais c'est le cinéma américain qui finance en bonne partie l'industrie cinématographique française.