L'enseignement coranique en période de vacances scolaires à Thiamène
L'enseignement du Coran occupe une place importante en milieu rural, particulièrement à Thiamène, un village de la commune de Tattaguine. Mais durant ces grandes vacances, l'espoir des maîtres coraniques de profiter de cette trêve pour les élèves, est anéanti du fait des travaux champêtres.
Samedi après-midi, il est 16 heures 30, le soleil étend ses rayons sur l'herbe à Thiamène, offrant une image alléchante en cette saison des pluies. Au milieu du village, se dresse un bâtiment en zinc d'une dizaine de mètres carrés, séparé en deux salles d'environ cinq mètres carrés chacune. À l'entrée, une multitude de chaussures de toutes sortes et de toutes couleurs ornent le décor. Les bruits des élèves résonnent, assourdissants. Bienvenue à l'école coranique, ou daara, de Thiamène, un village de la commune de Tattaguine, très courue durant les vacances. Les élèves viennent de divers horizons, en particulier des villes, pour y apprendre le Coran.
À l'intérieur du daara, bien installé sur une chaise, se trouve Serigne Mbaye Thiam, le maître des lieux. Dans cet endroit, il est difficile de se frayer un chemin. Des chambres juxtaposées et séparées en différentes catégories : l'une occupée par les élèves en cours d'initiation avec des planches en bois avec des écrits du Coran sur leurs pieds, d'autres qui commencent à lire et d'autres encore en dernière phase de mémorisation du Coran, assis tout près du maître coranique qui écoute tout ce qui est récité à haute voix tout en regardant leur livre du Coran.
« Durant les vacances, j'ai des élèves qui viennent de différentes villes, amenés ici par leurs parents. Parfois, il est difficile d'accepter ces vacanciers en raison de l'effectif pléthorique que nous avons déjà, mais nous sommes contraints car leurs parents ont un énorme espoir en nous », souligne le maître coranique et imam du village. Pour lui, un bon niveau de lecture de certains élèves vacanciers permet une progression rapide durant les vacances.
Concernant l'effectif de son école coranique, l'homme de taille moyenne, la cinquantaine, estime juste qu’il doit dépasser la centaine d'élèves. « C'est difficile de déterminer le nombre d'élèves puisque certains parents retirent leurs enfants pour les travaux champêtres durant l'hivernage, et pour d'autres même durant l'année scolaire », explique-t-il.
Progression rapide des filles
Dans les villages, particulièrement à Thiamène, les filles ne vont pas souvent aux champs, d'où leur niveau de progression rapide dans les daaras par rapport aux garçons, en permanence mobilisés pour les travaux champêtres. Résultat : chaque année, sur cinq talibés qui mémorisent le Coran dans le village, quatre sont des filles. Le cycle de mémorisation du Coran est d'au minimum cinq ans dans le village du fait que les élèves allient l'école coranique et l'établissement français. Les paiements mensuels sont de 1500 FCFA pour l'ensemble des daaras du village.
Face à l'effectif pléthorique, le maître coranique dit être aidé par d'anciennes élèves dans cette tâche. « J'ai cinq anciennes pensionnaires du daara qui m'aident dans l'enseignement des talibés. Je fais de mon mieux malgré les difficultés pour inculquer aux enfants du village le Coran et les enseignements de la religion », confie le maître coranique et imam du village, qui ne se soucie pas des difficultés, étant donné que c'est son devoir.
Dans ce daara, les cours se déroulent tous les jours de 5 heures du matin jusqu'à 7 heures et de 8 heures à midi. L’après-midi de 14h30 à 17 heures et la nuit de 19 heures à 21 heures. Des heures de pause pour le petit déjeuner sont offertes le matin entre 7 heures et 8 heures, de midi à 14 heures pour le déjeuner, et une vingtaine de minutes après 20 heures pour le dîner. De mercredi à vendredi, les cours vaquent pour la grande majorité des talibés.
À l'autre bout du village, l'ambiance est bien différente. Sur la véranda d'un appartement de trois chambres, un groupe de jeunes talibés, âgés de 5 à 12 ans, est assis sur des nattes. Le bruit est assourdissant ; l'un d'eux parle fort, tandis que les autres le suivent en répétant ses paroles. Ce daara, le deuxième du village, a ouvert ses portes il y a seulement quatre mois.
Mamadou Sine Thiam, un homme dans la cinquantaine, se déplace avec autorité. Vêtu d'un sous-vêtement blanc, d'un pantalon bleu, et tenant un fouet et un livre du Coran à la main, il supervise les enfants. « L'enseignement coranique devient plus difficile durant l'hivernage, explique-t-il. Depuis le matin, je ne suis pas sorti de la maison. L'après-midi, les élèves sont revenus vers quatorze heures, et même si c'est fatigant, il est de mon devoir de les enseigner. »
Il poursuit : « Il n'est pas donné à tout le monde d'être maître coranique, car on rencontre des enfants très différents. Certains n'apprennent qu'après correction, d'autres ont besoin d'être effrayés, et certains apprennent en jouant ou en négociant. Je m'assois souvent au milieu d'eux pour leur donner confiance. » Mamadou ajoute avec un sourire : « J'avais dix élèves avant les vacances, mais maintenant j'en ai une vingtaine. C'est difficile, mais j'ai choisi ce travail et je suis habitué à enseigner depuis 2002. »
Frères, cousins et neveux du maitre
En raison de la particularité du village, « les élèves sont soit mes enfants, frères, cousins, ou neveux ». Il souligne les défis liés à l'enseignement : « Parfois, certains talibés ne veulent pas parler, ce qui complique l'apprentissage. Il y a aussi ceux qui oublient vite, ce qui rend les choses encore plus difficiles. »
Il continue : « J'enseigne et j'éduque les enfants en utilisant des méthodes comme le claquement des doigts pour demander le silence. Parfois, les parents refusent que l'on corrige leurs enfants, mais il est essentiel de le faire pour une bonne éducation. C'est pourquoi je les avertis avant l'inscription. »
Mamadou se réjouit des progrès des enfants : « Certains talibés étaient très difficiles, mais maintenant, ils sont très respectueux. Les parents commencent à amener leurs enfants ici. » Il insiste également sur l'importance de la prière : « Je leur enseigne les piliers de l'islam et l'importance de la prière. Même si les parents demandent aux enfants d'aller ailleurs, ils doivent d'abord prier. »
Avec une volonté ferme, il poursuit son travail malgré les défis : « Il y a des élèves qui partent au champ, mais j'essaie de les rattraper lorsqu'ils reviennent. À Tivaouane où j’exerçais avant, je ne recevais pas de paiement mensuel. Mon objectif est de former ces enfants pour qu'ils puissent, à leur tour, ouvrir d'autres daaras. »
Mame Fatou Thiam, native de Thiamène et résidante à Thiès, amène chaque année son enfant Ousseynou dans son village natal. « Je ne conçois pas laisser mon enfant dans l'école publique française sans qu'il ait des notions relatives à la pratique de sa religion et à la maîtrise du Coran. En l'envoyant au village, ça lui permet de se ressourcer dans mon village natal pour connaître ses parents et ses origines », fait-t-elle savoir. Son enfant vient pour la deuxième fois en vacances pour apprendre le Coran.
À Thiamène, les daaras sont très fréquentés pendant les vacances, mais certains de leurs pensionnaires allient apprentissage coranique et travaux champêtres. Cette situation allonge la durée du cycle de mémorisation du Coran chez les garçons. Conscients de cette réalité, les maîtres coraniques s'adaptent en profitant du temps de pause de l'année scolaire, étant donné que leurs élèves fréquentent aussi les écoles françaises, ce qui réduit leur durée de fréquentation des daaras.