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Babacar Gaye, économiste : « L’Eco marquera une rupture avec la dépendance extérieure »

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La monnaie Eco devrait entrer en vigueur en 2027. Cette échéance a été retenue lors de la 66e session ordinaire de la Conférence des chefs État et de gouvernement de la Communauté économique des États de l’Afrique de l’Ouest (CEDEAO) tenue le 15 décembre 2024 à Abuja, au Nigéria. Initialement prévu pour 2003, puis repoussé à 2005, 2010 et finalement à 2020, le projet attend encore d’être concrétisé. En décembre 2019, les chefs d’État de la sous-région ont adopté le nom « Eco » et fixé un objectif de lancement pour 2020. Mais ce calendrier a également été modifié en raison de divers obstacles économiques et politiques. Babacar Gaye, économiste statisticien nous livre ses analyses sur cette monnaie qui a priori va remplacer le CFA.

« Qu’est-ce que la monnaie Eco ?

L’Eco est une monnaie unique proposée pour les pays membres de la CEDEAO. Ce projet vise à remplacer le franc CFA dans les pays de l’UEMOA (Union économique et monétaire ouest-africaine) et à étendre cette monnaie commune à l’ensemble des 15 pays de la CEDEAO.

Cependant, le retrait récent des pays de l’Alliance des États du Sahel (AES) Burkina Faso, Mali et Niger de la CEDEAO complique la mise en œuvre de ce projet. Ces trois pays, qui représentaient une part significative de la population et de l’économie de la région, pourraient ne pas participer à l’Eco à court terme, ce qui réduit la portée initiale de cette monnaie unique.

Pourquoi son entrée en vigueur prend du temps ?

L’adoption de l’Eco est retardée par plusieurs facteurs structurels. D’abord des critères de convergence non respectés : les pays de la CEDEAO doivent respecter des critères stricts (déficit budgétaire inférieur à 3 % du PIB, inflation inférieure à 10 %, dette publique inférieure à 70 % du PIB, etc.). Or, peu de pays remplissent ces conditions de manière durable.

Ensuite des divergences économiques : Les économies de la région sont hétérogènes (Nigéria, économie dominante, face aux petits pays comme le Bénin ou le Togo). Ce qui complique l’harmonisation des politiques monétaires et fiscales. Il y a aussi les enjeux politiques : La transition vers l’Eco implique des concessions de souveraineté monétaire, ce qui suscite des résistances nationales.

Et enfin de question des infrastructures institutionnelles : La création d’une Banque centrale de la CEDEAO et d’un système de gestion monétaire commun nécessite des investissements et des réformes institutionnelles importantes.

Quels seront les pays qui vont utiliser la monnaie Eco ?

Initialement, les 15 pays membres de la CEDEAO étaient concernés. Cependant, le retrait des pays de l’AES  de la CEDEAO en 2024 modifie cette dynamique. Ces trois pays, qui représentent environ 20 % de la population de la CEDEAO et une part non négligeable de son PIB, pourraient ne pas adopter l’Eco dans un premier temps.

Ainsi, les pays susceptibles d’utiliser l’Eco à court terme sont les 12 membres restants de la CEDEAO, avec une adoption probablement plus rapide par les pays de l’UEMOA.

Les autres pays, comme le Nigéria et le Ghana, pourraient rejoindre le système une fois les critères de convergence atteints. Cette situation soulève des questions sur la viabilité et l’attractivité de l’Eco sans la participation des pays de l’AES, qui sont stratégiques sur le plan géopolitique et économique.

La valeur sera-t-elle plus haute ou au même niveau que le CFA ?

La valeur de l’Eco dépendra de plusieurs facteurs. La politique monétaire : Si la future Banque centrale de la CEDEAO adopte une politique restrictive, l’Eco pourra être fort ; la performance économique : La croissance, l’inflation et la balance des paiements des pays membres influenceront la valeur de l’Eco et la parité iinitiale : Il est probable que l’Eco soit initialement aligné sur le CFA (1 Eco = 655 F CFA) pour assurer une transition en douceur, mais sa valeur pourrait fluctuer par la suite en fonction des conditions économiques.

Le Nigéria, puissance économique de la CEDEAO, a-t-il beaucoup plus à gagner qu'à perdre dans ce mariage ?

Le Nigéria, qui représente environ 70 % du PIB de la CEDEAO, a un rôle central dans ce projet avec notamment des gains potentiels : il pourrait renforcer son leadership régional, faciliter ses exportations vers les pays voisins et bénéficier d’une plus grande stabilité monétaire. Mais aussi des risques puisque ce pays pourrait être exposé aux chocs économiques des autres pays membres (inflation, déficits budgétaires, etc.).

De plus, sa monnaie nationale, le naira, est actuellement flottante, ce qui pourrait poser des défis pour son intégration dans un système de change fixe. Si l’on fait l’analyse coûts-bénéfices, le Nigéria a plus à gagner à long terme si l’Eco stimule la croissance régionale, mais les risques à court terme sont non négligeables.

Qui va garantir cette monnaie ?

L’Eco sera garanti par les réserves de change des pays membres, gérées par la future Banque centrale de la CEDEAO. Contrairement au CFA, qui est soutenu par le Trésor français, l’Eco marquera une rupture avec la dépendance extérieure. Cependant, la crédibilité de cette garantie dépendra de la capacité des pays à maintenir des réserves suffisantes et à respecter les critères de convergence.

Quel sera le rapport avec la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF) ?

L’Eco et la ZLECAF sont complémentaires en termes de synergies : Une monnaie unique réduira les coûts de transaction et les risques de change, ce qui renforcera les échanges commerciaux dans le cadre de la ZLECAF. Pour ce qui est de l’intégration économique, l’Eco pourrait servir de catalyseur pour l’intégration économique continentale, en alignant les politiques monétaires et fiscales.

Le défi c’est que la réussite de cette complémentarité dépendra de la capacité des pays à harmoniser leurs politiques économiques et à surmonter les asymétries structurelles.

Est-ce une initiative proprement africaine ou bien il y a une main extérieure ?

L’Eco est présenté comme une initiative africaine, mais son histoire est marquée par des influences extérieures. D’abord l’héritage du CFA. Le franc CFA, créé sous l’ère coloniale, a longtemps été soutenu par la France, ce qui a suscité des critiques sur la souveraineté monétaire. Ensuite l’influence française. Bien que l’Eco vise à rompre avec cette dépendance, des négociations avec la France ont été nécessaires pour assurer une transition en douceur. Et enfin l’autonomie future : À long terme, l’Eco pourrait devenir une monnaie pleinement africaine, mais cela dépendra de la capacité des pays membres à gérer leur politique monétaire de manière indépendante.

 

Author Info Section

Etudiant au Centre d'Etudes des Sciences et Techniques de l'information (Cesti). Je suis étudiant en journalisme, option presse écrite.

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