Les kiosques à journaux à l’épreuve de la digitalisation de l’information

Le lectorat des journaux imprimés connait une baisse considérable. Avec l’avènement d’internet et la digitalisation de l’information, les articles de presse sont publiés en ligne. Le support papier perd davantage de place au profit du digital. L’information est à portée clic. C’est la faible affluence des lecteurs dans les kiosques à journaux.
Les kiosques à journaux, ces institutions historiques de la presse écrite, sont aujourd'hui confrontés à une transformation radicale provoquée par l'essor du numérique. Face à la baisse des ventes de journaux imprimés et au développement des médias en ligne et des plateformes de lecture numérique, ces lieux emblématiques de la presse traditionnelle font face à des défis majeurs. Les kiosques à journaux ont été, pendant des décennies, le point névralgique de la distribution de presse. Ils ont marqué les rues des grandes villes et des petits villages, offrant une variété d’imprimés allant des journaux locaux aux magazines internationaux. Cependant, la montée en puissance des plateformes numériques a bouleversé ce paysage.
Près de la mosquée de Fann Hock se trouve le kiosque à journaux de Mamadou Sall. Le soleil est au zénith. Le kiosque n’attire pas de monde. C’est le désert, mais pas totalement puisque quelques passants nourrissent leur curiosité par les Unes. Assis sur un banc et adossé au mur, un peu somnolent, Mamadou Sall, kiosquier de longue date, partage son quotidien.
« Il y a 20 ans, j’avais une clientèle fidèle, surtout des habitués qui venaient chercher leur quotidien. Aujourd’hui, je vois moins de gens acheter des journaux papier. Beaucoup préfèrent consulter les nouvelles sur leur smartphone », confie-t-il. Être kiosquier n’est pas du tout repos. C’est un métier laborieux. « Le travail commence tôt à 6h du matin et s’achève tard à 18h. », renseigne le kiosquier.
En tant que colporteur de journaux au début des années 2000, Mamadou Sall s’en sortait bien grâce à ses nombreux abonnés. C’est ce qui lui a permis de mettre en place son kiosque pour maximiser davantage ses recettes. Mais avec l’avènement du numérique, il reconnait que son capital a drastiquement baissé. « La percée de l’information sur Internet via les smartphones a inexorablement contribué à la chute des ventes de quotidiens et à l’affaissement des abonnements », ajoute-t-il.
L’angoisse face à la révolution numérique
Frappé par la brise de mer de Soumbédioune, le kiosque de Mamadou Sall, petit édifice en fer forgé, est très prisé par les passants. Il est abrité sous un arbre ombragé. La tige étaie deux cordes parallèlement liées au kiosque. Elles servent de support élastique pour exposer les journaux. Les quotidiens à vendre se trouvent dans le kiosque. Le magazine Regards est le seul du genre qui y figure. Selon lui, la vente de magazine est moins rentable que celle des journaux. « Il y a quelques années, on vendait beaucoup d’hebdos et de mensuels mais présentement, ils sont adaptés au numérique et vendus en ligne grâce à des abonnements », renchérit M. Sall.
Kiosque à journaux de Mamadou Sall, sis Fann Hock
Malgré la montée du numérique, les kiosques à journaux conservent une valeur culturelle importante. Ils sont des lieux de rencontre où les gens échangent des idées, discutent de l'actualité et créent des liens sociaux. « J’aime l’atmosphère des kiosques. Il y a quelque chose de réconfortant à acheter un journal papier, à le sentir, à le lire. C’est un moment que je ne veux pas perdre, malgré tout ce que la technologie peut offrir », martèle Habib, fidèle client du kiosque. Pour ce quinquagénaire, s’informer fait partie de son quotidien et c’est pour cela qu’il vient fréquemment à ce kiosque se procurer au moins un quotidien.
Patrimoine culturel
De nombreuses personnes ressentent une forme de nostalgie pour ces établissements, qui incarnent un mode de vie révolu mais apprécié. Pour Saliou Anne, historien des médias, « les kiosques à journaux sont plus que des points de vente. Ils sont des témoins de notre histoire médiatique et sociale. Il est important de les préserver comme une part de notre patrimoine culturel. »
Abdou Diop, un homme de la soixantaine, est kiosquier à la Médina qui capitalise une dizaine d’années d’expérience. Il est habillé en sabador bleu. Les cheveux de la tête à la barbe sont grisonnés. C’est un homme du milieu très passionné par les quotidiens et les magazines. Très accueillant et ouvert aux échanges, il se présente comme guide et conseiller pour sa clientèle. Il maitrise la ligne éditoriale et les sujets les plus traités dans les journaux. D’après lui, l’actualité politique occupe la part belle des quotidiens.
Cependant, il se dit très préoccupé par l’avenir des kiosquiers sous menace permanente des changements technologiques. Pour lui, c’est une véritable lutte pour la survie. « C’est un combat quotidien. Les frais de fonctionnement augmentent, et les ventes diminuent. Nous sommes contraints de trouver des alternatives pour compléter notre revenu. C’est épuisant mais c’est notre passion qui nous pousse à continuer », confie M. Diop dans un air désespéré.
« Les kiosques à journaux sont une espèce en voie de disparition »
Selon une étude de 2024 réalisée par Reporters sans frontières, la vente des journaux au Sénégal fait face à plusieurs défis. D’après le rapport, le pays compte une quarantaine de journaux papiers, bien que les défis économiques et l'évolution numérique mettent la presse traditionnelle sous pression. « Bien que le pays compte 45 journaux écrits, les revenus générés par les ventes ne suffisent pas à couvrir les coûts de fonctionnement. De plus, l’aide à la presse est jugée insuffisante et la répartition de la publicité est inégale, avec une grande partie captée par les médias publics », peut-on lire dans le rapport.
Un colporteur de journaux
Dans un sondage réalisé en 2021, seuls 17% des Sénégalais déclaraient lire un journal dans sa version papier contre 48% pour les sites d’information en ligne. Pour Mamadou Ibra Kane, président du Cdeps et administrateur général d’Africom : « La montée des plateformes numériques a modifié profondément la manière dont nous consommons l’information. Les journaux papier, même s’ils conservent un charme particulier, ne parviennent plus à rivaliser avec la rapidité et la diversité des contenus numériques. Les kiosques à journaux sont une espèce en voie de disparition. Il faut une profonde réflexion des acteurs accompagnés d’un gouvernement clairvoyant pour adapter la presse écrite au digital. »
En dépit de la menace qui plane sur eux, certains kiosques ont commencé à offrir des services numériques. Pour survivre, Mamadou Sall a diversifié ses offres. Il a mis en place d’autres articles pour attirer une clientèle plus large. « J’ai dû diversifier mes offres. Les gens viennent encore pour acheter des journaux, mais j’ai aussi intégré des livres et des articles de papeterie. Cela m’aide à générer des revenus supplémentaires », fait-il savoir.
Les kiosques à journaux sont contraints de chercher à s'adapter en diversifiant leurs offres. Ils proposent maintenant des services comme la vente de produits de proximité, des magazines spécialisés, des livres, ou encore des articles liés au lifestyle et à la culture. D’après Soulèymane Dème, expert en médias, « les kiosques à journaux sont contraints d’offrir des services numériques comme la vente d'abonnements à des journaux en ligne ou des magazines numériques. Cela permet aux clients d'accéder à du contenu digital tout en conservant l’aspect physique du kiosque. »
Les kiosques à journaux traversent une période de transition marquée par des défis significatifs liés à la digitalisation. Si l’ère du numérique continue de transformer notre manière de consommer l’information, ces lieux restent un symbole historique de la presse. Leur avenir dépendra de leur résilience, de leur innovation et de leur capacité à préserver leur essence tout en embrassant le changement.
