A bord de Jaxaay Dem Dikk, un supplice dans un cercueil mobile

Le réseau routier sénégalais est constitué de plusieurs alternatives pour le déplacement. Malheureusement, des mains peu expertes se sont accaparées l’un des secteurs névralgiques de l’économie, le transport privé. Certains citoyens, au prix de leur vie, sont obligés de se soumettre aux conditions de vétusté et l’indiscipline qui caractérisent ses conducteurs et receveurs dits « apprentis » pour rallier Jaxaay au centre-ville de Dakar.
C’est encore un matin de remue-ménage de lundi, dans la commune de Jaxaay, à 26 km du centre-ville de Dakar. Dans ce quartier, des âmes surgissent dans la pénombre pour rallier les cars-Ndiaga Ndiaye se trouvant sur la ligne 51 et 52.
Il est 6 heures, Fatou Ndiaye, étudiante en management, fonce à grands pas vers l’arrêt des cars-Ndiaga Ndiaye . Certains citoyens tentent trainent le pas, la jeune dame fulmine.
Badara, jeune rabatteur, assieds sur un petit banc communément appelé Versailles, il appelle les clients « mairie – Colobane mairie – Colobane, entrez et avancez, pas de monnaie et chaque rangée, c’est pour 5 places ». Fatou Ndiaye, dans l’embarras et le risque d’être laissée sur place, rentre à pas feutrés dans le car avec son luxe vestimentaire qui est paradoxal de ce moyen de transport datant de mathusalem. Elle avance avec un calme olympien, jette un coup d’œil de gauche à droite et fonce dans un siège qui lui parait confortable. Fatou se cale comme une accusée juste derrière dans un coin. Le car-Ndiaga Ndiaye est plein, en des blocs compacts, comme dans une boite de sardine. Au total six rangées de cinq places tapissées par de vieux tissus, ce à quoi il faut ajouter la fraicheur matinale, les mauvaises odeurs, cause parfois d’étouffement.
Malick, la cinquantaine, commerçant à Dakar, s’impatiente et donne le ton « Mais où est le chauffeur ? Nous sommes en retard, c’est lundi et la route est dense. Qu’est-ce qui ne va pas ? Ne vous foutez pas de nous ». Son voisin de renchérir, « ce n’est pas la peine . Ils s’en foutent pas mal, ce qui les intéresse, c’est que le car soit plein. Le reste, ce n’est pas leur affaire ».
Le chauffeur , démarche nonchalante et ses yeux qu’il ouvre à peine, tire la portière, lance un laconique Assalamalek et retorque :« Eh écoutez-moi bien je ne suis pas votre égal, celui qui est pressé peut descendre et attendre un autre car. C’est très tôt pour les discussions. ».Avant de demander à ses collègues « mes amis s’il vous plait, un coup de main ». Une bande de chauffeurs se placent derrière et pousse, le car démarre et dégage une épaisse fumée, c’est le soulagement parmi les passagers.
Un voyage dans le supplice
6 heures passées de 30 minutes, le périple commence. Fatou, mine crispée, blottie contre la coque du car, consent et souffre en sourdine le supplice. Le jeune apprenti resurgit à peine dix minutes après le départ en véritable orateur : « Eh, regroupez le transport, chaque banc 1750 et pas de monnaie, débrouillez-vous ». Les billets et les espèces sonnantes et trébuchantes transitent de main en main pour atterrir dans ses mains noircies d’huiles de moteur et il instaure un véritable brouhaha dont il est l’instigateur entre réclamation de monnaie et explication.
Le car-Ndiaga Ndiaye atteint difficilement l'autoroute à péage, balançant de gauche à droite. Fatou grimace à nouveau : « je commence à sentir une crampe due à ma position inconfortable. La douleur persiste et je veux dégourdir mes jambes, impossible, car je suis bloquée ». Son voisin mal à point Mohamed Fall tapissier affirme aussi « ces voitures doivent être purement et simplement retirées de la circulation, aucun confort, je paye pour s’assoir sur le fer, mais Dieu est grand ».
Le tas de ferraille, constitué de vielle tôle, met le gaz pour aller vite, mais il est l’ombre de lui-même vu sa vétusté. Les voitures le dépassent comme s’il allait en reculons. La vitesse appliquée par le chauffeur était uniforme et linéaire. Fatou jette un coup d’œil sous mon siège et constate un trou béant qui laisse paraitre les roues et le macadam qui défile sous ses pieds.
Terminus
Un silence de cimetière règne dans le car malgré la brume matinale. La quasi-totalité des passagers sont sous le charme de Morphée et semblent confier impuissamment leur vie à ce cercueil roulant. Les plus résistants encore égrainent leur chapelet avec force et d’autres, écouteur à l’oreille, balancent leur tête.
Arrivé dans le box de péage, un jeune gendarme posté sur le rez-de-chaussée, avec un bel uniforme, tiré à quatre épingles, bottes bien cirées fait signe au chauffeur de faire vite. Le chauffeur paye et la barrière se lève, le cars-Ndiaga Ndiaye sur le même rythme constant.
7 heures, de loin, la gare routière de Colobane apparait et un nombre incalculable de spécimens de cars bons pour la fourrière, alignés les uns après les autres qui attendent leur tour. Le cars-Ndiaga Ndiaye bifurque à droite, dans un mouvement d’ensemble, les passagers se précipitent à la porte et atterrissent les uns après les autres. Le car se vide de son contenu en un laps de temps. Les occupants se fusionnent dans la masse et vaquent à leurs affaires respectives. Fatou retrouve la terre ferme rétrécie comme un fagot de bois, traverse le carrefour. A grands pas, elle se dirige vers son université.
Le retour par défaut
17 heures après les cours, qui coïncident avec l’heure de pointe du retour vers la banlieue. Par manque de moyens pour s’offrir une aisance du TER (Train Express Régional) ou un déplacement par taxi. Elle est obligée de récidiver le même trajet que le matin. Dans la gare routière à choix unique pour le retour, les places sont presque épuisées et une véritable course est engagée. Conscientes de ce qui les attend tout au long du trajet. L’apprenti, du haut du marchepied, annonce le trajet « jaxaay -jaxaay ». Le temps passe et le soleil décline à l’horizon et les cars se font de plus en plus rares. Vu la difficulté pour l’obtention d’un car, elle se plie à l’exigence du terrain. Une nouvelle page s’ouvre encore pour la pauvre dame.
Enfin, si ce moyen de transport a fini par s’imposer à certains, le respect, la courtoisie, le confort demeurent les parents pauvres.
