JOURNEE INTERNATIONALE DES DROITS DES FEMMES, Mme Brigué Bob : « Le leadership féminin dans les médias sénégalais est une tendance irréversible »

À l’occasion du 8 mars, Mme Brigué Bob, directrice de publication du quotidien EnQuête, revient sur la place des femmes dans le paysage médiatique sénégalais. Entre avancées notables et obstacles persistants, elle analyse les défis du leadership féminin dans les rédactions, l’accès aux postes de responsabilité et l’importance du mentorat pour les jeunes générations de journalistes.
1-) Quel est le rôle des femmes dans l’évolution du paysage médiatique sénégalais ?
De Mami Annette Mbaye D’Erneville à l’actuelle génération de journalistes, les femmes ont toujours joué un rôle fondamental dans l'évolution du paysage médiatique sénégalais, en mon sens. Mami Annette a fondé en 1964 le magazine "Awa", dédié aux femmes africaines. Cette revue offrait une plateforme d'expression aux femmes, abordant des sujets variés tels que la culture, la société et les droits des femmes, et a joué un rôle crucial dans la représentation féminine dans les médias. Sokhna Dieng Mbacké est la première femme à présenter le journal télévisé au Sénégal en 1972, elle a ensuite occupé le poste de directrice de la télévision nationale. Son parcours exemplaire a ouvert la voie à une plus grande inclusion des femmes dans les postes à responsabilité au sein des médias. Le magazine Reussir, l’un des rares dans le paysage médiatique actuel est dirigé par une femme. On doit à Maïmouna Ndour Faye la mise sur pied de la télévision 7TV et le site AZ Actu. Que dire d’Oumou Wane qui était à l'initiative d’Africa 7 radio et télé. Les exemples font foison. Il est clair que les femmes ont été et continuent d'être des actrices clés dans le développement et l'évolution des médias dans notre pays. Elles sont nombreuses à jouer des rôles de premier plan. L’Observateur a une magnifique rédactrice en cheffe, Ndeye Fatou Seck, qui abat un travail de titan. On ne peut aujourd’hui nier l’apport des femmes dans l’évolution des médias. On oublie souvent celles qui évoluent dans le monde du cinéma alors qu’elles font partie de celles qui impactent positivement la participation des femmes. Kalista Sy, Mame Woury Thioubou, Angèle Diabang, etc. en sont une parfaite illustration. Au-delà d’être de brillantes réalisatrices ou productrices, elles portent à l’écran des problématiques de femmes. Ce qui contribue à amplifier notre voix.
2-) Pensez-vous qu’il existe encore des barrières spécifiques à l’accès des femmes aux postes de direction dans les médias ?
Oui, il existe encore des barrières spécifiques à l'accès des femmes aux postes de direction dans les médias. Les femmes dans les médias sont souvent confrontées à divers stéréotypes qui limitent leur progression professionnelle. Il y a des barrières socioculturelles. Ici, l’on pense que quand une femme est mariée par exemple, elle se doit de rentrer tôt à la maison et de tenir sa maison. Quand elle est célibataire elle doit rentrer tôt. Une fille de bonne famille se doit de rentrer tôt, dit-on. Ce genre de choses retardent l’évolution de celles qui y font attention ou y croient parce qu’en presse écrite, par exemple, il est difficile voire quasi impossible de rentrer tôt quand on est chef de desk ou rédacteur en chef par exemple. Le travail se passe pour l’essentiel, le soir.
Il y a l’écueil du traitement salarial à résorber. Pour les mêmes postes de responsabilité, des femmes perçoivent moins que des hommes dans certaines entreprises de presse. On assiste certes à une féminisation de la presse mais il est indéniable que des barrières spécifiques persistent, limitant leur accès aux postes de direction. A mon avis, il est essentiel de promouvoir des politiques inclusives, de sensibiliser aux questions de genre et de soutenir les initiatives visant à renforcer la présence des femmes dans les instances décisionnelles du secteur médiatique pour changer la donne.
3-) Comment votre position de directrice de publication vous permet-elle d’influencer la ligne éditoriale sur les questions de genre et de société ?
(Rire) Je ne pense pas que mes supérieurs m’ont nommée à ce poste pour que j’influence la ligne éditoriale qui a été définie bien avant mon accession à ce poste. Oui, j’ai mes sensibilités et cela peut se ressentir dans le traitement de certains sujets mais un journal est l'œuvre d’une équipe, une rédaction. Chacun y apporte sa touche. Oui, ma voix compte et elle n’est pas minoritaire je l’avoue mais je reste convaincue que cela aurait plus d’impact s’il y avait plus de femmes autour de moi et à des postes stratégiques. Une seule voix ne suffit pas même si elle peut amorcer un changement significatif. Oui, je peux veiller à ce que EnQuête ne reprennent pas certains stéréotypes, à ce qu’il s’intéresse un peu plus aux sujets qui touchent les femmes mais on ne fera pas mieux ou plus qu’Info Elles par exemple de ma sœur Alice Djiba. C’est un médium spécialisé et c’est le genre à pouvoir changer la donne. Il œuvre pour la promotion des femmes et des filles. Un médium d’informations générales comme EnQuête ne peut que donner davantage d’espaces aux femmes, mieux les prendre en compte dans le traitement de sujets politiques, scientifiques, sociétaux, etc.
4-) Avez-vous observé une évolution dans la perception du leadership féminin dans votre secteur ?
Oui, il y a une certaine évolution même si, comme je viens de le dire, il y a des défis qui persistent. A mes débuts, dans la presse, il y avait très peu de femmes en presse écrite, presque pas de photographes femmes ou de camerawomen. Aujourd’hui, on en compte par dizaine. On pouvait compter celles qui occupaient des postes de responsabilité. Pis, les femmes étaient confinées à certains desks. Ce qui n’est plus le cas. Les stéréotypes qui limitaient les femmes à des rôles subalternes ou à des sujets féminins sont en train de s’effriter. Des femmes se sont battues dans les rédactions en travaillant dur pour faire comprendre aux gens qu’elles peuvent apporter une valeur ajoutée en termes de gestion, de créativité et de prise de décision.
Aujourd’hui, de plus en plus de femmes occupent des postes de responsabilité même si elles restent encore minoritaires. On a des rédactrices en chef, des directrices de publication, ou responsables de programmes. Je pense que cette visibilité croissante contribue à normaliser l’idée que les femmes peuvent diriger avec succès des rédactions. Ce que je perçois comme une reconnaissance de leurs compétences et de leur professionnalisme. Cela démontre également, en mon sens, que le leadership féminin n’est pas seulement une question de genre, mais bien de talent, de vision et de travail acharné. J’insiste sur le travail acharné. On est souvent obligé de faire plus que les hommes pour prouver nos compétences, notre légitimité et c’est sans compter sur les jugements sur notre vie personnelle.
Mais la tendance actuelle est irréversible (sourire). C’est ma conviction. Les femmes continueront à jouer un rôle de plus en plus central dans l’évolution du paysage médiatique sénégalais.
5-) Comment encouragez-vous l’inclusion des femmes dans votre rédaction et leur montée en responsabilité ?
Ceux avec qui je travaille savent que j’encourage un recrutement inclusif et je soutiens les candidatures féminines. Celles avec qui je travaille savent qu’elles peuvent compter sur mon soutien car je crois fermement au mentorat. J’essaie, en toute humilité, de les guider et de les orienter. Je pense que cela peut les aider à développer leurs compétences, à gagner en confiance et à se préparer à des rôles de leadership. Je leur fais comprendre et sentir qu’elles peuvent y arriver, qu’elles peuvent aller loin. Je les pousse à aller se faire former parce qu’il est important qu’elles se perfectionnent. Cela peut permettre de soutenir leurs candidatures quand il y a des postes de responsabilité à promouvoir. Et je vous dis, j’amplifie leur moindre petite réussite (rire). J’en fais un évènement pour davantage les encourager et leur dire qu’elles peuvent faire mieux.
6-) Quels conseils donneriez-vous aux jeunes femmes qui souhaitent s’engager dans le journalisme et atteindre des postes de leadership ?
Je leur dirais : osez et croyez en vous. Le journalisme est certes un domaine exigeant, mais pas inaccessible. A mes jeunes sœurs, formez-vous. Une licence en journalisme ou un master ne suffisent pas. Les organisations professionnelles de journalistes sont à l’initiative de formations sur des sujets spécifiques. Il est important d’y prendre part. Le journalisme évolue rapidement, il ne faut pas être largué.
Ayez des mentors, c’est important. Vos mentors peuvent vous aider à relever les défis de la profession et à accéder à des opportunités. Soyez audacieuse et faites-vous entendre. N’ayez pas peur de proposer des sujets, de prendre des initiatives ou de défendre vos idées en réunion de rédactions. Le leadership commence par la confiance en soi et la capacité à s’affirmer dans des espaces parfois dominés par les hommes. Il est important en outre de se spécialiser. Il vous faut identifier un domaine qui vous passionne, cela peut vous aider à vous démarquer. Pour moi, le plus important est la résilience (rire). Le journalisme peut être un métier difficile, avec des défis comme le harcèlement, la pression ou les critiques. Apprenez à rester forte et à ne pas laisser les obstacles vous décourager. Il faut beaucoup de résilience.
Le journalisme est un métier qui repose sur l’éthique, l’intégrité et la recherche de la vérité. Quel que soit le poste que vous occupez, rester ancrée dans ces valeurs. C’est important.
Enfin, rappelez-vous que le chemin vers le leadership n’est pas toujours linéaire. Il y aura des hauts et des bas, mais chaque expérience vous rendra plus forte et plus compétente. Alors, gardez votre passion intacte, restez déterminée, et surtout, croyez en votre capacité à faire la différence.
Propos recueillis par Tafsir Khaly Sarr
